Résumé de la 2e partie n M'ahmed part avec son père Mohamed Amokran tailler les oliviers. En chemin, ils rencontrent un corbeau, oiseau de mauvais augure pour le fils... Disant cela, il posa sa hachette à terre, arma et épaula son long fusil. Le corbeau continuait à regarder, immobile, et le fils, en arrière de son père, s'apprêtait à juger du coup ; jamais Mohamed Amokran n'avait manqué une orange à cent pas. Il fit feu. La motte de terre dure, sur laquelle perchait l'oiseau, vola en éclats, mais l'animal n'était pas touché. Il s'envola lourdement les pattes pendantes, croassant d'un ton lugubre, et se posa sur le vieil olivier, près de l'abîme. — Mauvais signe, dit encore le fils ; le premier coup de feu qui ne porte pas ! Rien ne nous réussira aujourd'hui. — Raisons de paresseux, s'exclama le vieillard. Allons ! au travail ! Tu vas élaguer l'olivier sur lequel s'est perchée cette djifa, pour laquelle j'ai été bien sot de brûler de la poudre, puis tu viendras me rejoindre dans le ravin. Le fils, habitué au joug paternel, et sachant le vieux soldat peu endurant, obéit sans mot dire. Il se dirigea vers l'arbre, d'où le corbeau s'envola, pour aller se percher à peu de distance sur une motte de terre voisine de celle brisée par la balle. M'ahmed se mit à l'ouvrage et sa hachette fit, péniblement, une trouée dans l'arbre vigoureux dont la ramure était serrée et dressée comme une chevelure emmêlée. Lentement, il parvint à tailler toutes les branches folles, ne laissant que les deux plus fortes, celles qui existent encore. La sueur coulait de son front ; il s'essuya, s'assit au pied de l'arbre, entre les racines tordues, et, rêveur, regarda devant lui, dans cet état de somnolence béat, si familière aux Algériens. Tout à coup, il vit le corbeau qui, en sautillant, s'approchait de l'abîme, regardant de côté d'un air curieux et satisfait. Puis, arrivé sur le bord des rocs à pic, l'oiseau se mit en boule hérissée et fixa de ses deux gros yeux ronds M'ahmed qui commençait à le trouver bien audacieux. Epeuré et superstitieux, le Kabyle prit une pierre et la lança. Le corbeau, effleuré, ne bougea point, mais croassa sourdement et l'abîme prolongea ce cri d'une façon lugubre. A plusieurs reprises, sans se lever, M'ahmed essaya de chasser l'importun. Rien n'y faisant, il prit le parti de le laisser tranquille, et, se couvrant la tête de son burnous pour échapper à sa vue, il recommença sa rêverie. «La vie était dure aux Ouled Zeïane. Du travail toute l'année, sans repos. Et pour qui ? Pour parer une belle-mère coquette et nourrir un père assez fou pour s'embarrasser à son âge de pareille jeunesse. Et Idir ne faisait rien, lui. Ce n'est pas à M'ahmed qu'on aurait donné une femme aimable. Son père lui en avait bien acheté une, mais quel laideron ! Il n'avait pas dû la payer bien cher, juste le prix le plus minime fixé par la Djemâa vingt-quatre douros. Noire de peau, malpropre, ne sachant même pas tisser un burnous, et née de la dernière des familles du village ! (à suivre...)