Isolement Le seul contact de Brahim avec la rue était Mohamed. Il ne faisait pas particulièrement froid ce jour-là, pourtant Brahim grelottait de tous ses membres. Ses dents claquaient avec frénésie et il avait mal partout comme s?il avait été atteint d?une forte fièvre. Lui, si fort et si sûr de lui d?habitude, se sentait tout d?un coup très vulnérable et il se surprit à réclamer sa vieille mère. «Tendre maman, viens à mon secours ! Ne m?abandonne pas à cette chose qui me dévore de l?intérieur, je t?en prie !», ne cessait-il de répéter en se recroquevillant. Pendant ce temps-là, l?exorciste continuait à réciter inlassablement des versets du saint Coran en lui maintenant solidement les poignets le long des jambes pour l?obliger à rester assis sur la chaise de bois. L?homme était debout au milieu de la pièce faiblement éclairée. Sa haute stature et son habit blanc lui prêtaient un ascendant certain, une autorité sur Brahim, qui était devenu une loque humaine, surtout depuis le moment où il avait constaté l?état monstrueux dans lequel il était. En voyant les traits repoussants de ce visage que lui renvoyait le miroir accroché au mur, Brahim n?avait pu réprimer un geste de recul, en proie à une soudaine peur-panique. Ce ne pouvait être lui ! Cet être horrible ne pouvait être lui ! Pourtant, à bien y regarder, il savait que c?était là sa propre image? Près de six semaines durant, Brahim n?avait pas quitté son appartement du boulevard Amirouche. Lui qui avait l?habitude de bouger sans cesse, de constamment se déplacer à travers tout Alger et ses environs et qui ne s?arrêtait que pour aller dans les restaurants et les lieux de loisirs les plus en vue de la ville, était devenu incapable de mettre un pied dehors. Il avait été pris d?une grande lassitude et avait commencé à se négliger. C?est à peine s?il se lavait et sa barbe poussait, lui dévorant le visage. Son seul contact avec la rue était son ami Mohamed. Ce dernier lui rendait visite matin et soir, lui ramenant de quoi manger et veillant à ce qu?il ne lui manque rien. Mohamed, le compagnon de toujours, savait que Brahim était en proie à un profond désespoir, qu?il avait radicalement changé et il s?en inquiétait. Convaincu que s?il n?agissait pas rapidement, son ami sombrerait plus encore, il avait d?abord fait appel à un psychologue qui avait accepté d?écouter Brahim sans toutefois parvenir à diagnostiquer une quelconque «cause psychosomatique ou autre» à l?état de profonde apathie dans lequel Brahim était plongé. (à suivre...)