Résumé de la 1re partie n Madeleine Béraud, bénévole à SOS-Amitié, essaie, à deux reprises, mais en vain, de faire parler son interlocuteur... Toujours pas de réponse, mais la même accélération et le même renforcement de la respiration, qui ressemble à un assentiment. Alors Madeleine raconte. Entre deux phrases, elle tend l'oreille. La respiration est là, toujours présente. Et, quand elle a fini, son correspondant raccroche. Cette fois, Madeleine Béraud ne s'adresse pas de reproche. Elle a fait son devoir. Elle est même un peu irritée. Elle craint qu'il ne s'agisse d'un jeu, que le muet de 11 heures du soir ne fasse partie de ces plaisantins qui encombrent la ligne et empêchent les êtres qui souffrent vraiment de s'exprimer. Aussi, le lendemain, Madeleine décroche sans surprise le téléphone à 11 heures précises. Ne pouvant être absolument certaine qu'il s'agit du même correspondant, elle répond comme à l'habitude : — SOS Amitié. Je vous écoute... Mais oui, c'est bien cela. Au bout du fil il y a le même silence et la même respiration qu'elle reconnaît parfaitement. Alors brusquement, elle s'emporte : — Vous ne pouvez pas parler comme tout le monde, non ! Vous êtes muet ? Et cette fois, il y a une, réaction. Un coup est frappé contre le combiné. Madeleine Béraud s'énerve franchement. — Vous vous êtes assez payé ma tête comme cela. Je raccroche et, demain, si vous remettez cela, je raccrocherai aussi. Madeleine s'apprête à mettre sa menace à exécution, mais on frappe encore un coup, avec force, avec violence, une violence presque désespérée. Elle arrête sa main qui s'apprêtait à reposer le combiné. Elle hésite. Elle a l'impression que ce coup a une signification. Brusquement, elle a une idée. Elle pense aux tables tournantes. Elle demande : — Un coup, ça veut dire oui ? De nouveau un coup est frappé. C'est donc une réponse, pourtant elle ne se souvient pas d'avoir posé une question. Mais si, elle en a posé une ! Elle répète : — Vous êtes muet ? Un coup. — Vous voulez dire vraiment muet ? Un coup. — Vous êtes un homme ? Deux coups. C'est non. — Quel âge avez-vous ? Dix-huit coups. Et le dialogue se poursuit. Un dialogue tâtonnant où un seul des correspondants parle, mais où les deux s'expriment. — Vous êtes muette de naissance ? Deux coups. — A la suite d'un accident ? Deux coups. — D'une maladie ? Un coup. Madeleine Béraud n'est pas médecin. Elle n'a pas une idée bien claire des maladies qui peuvent rendre muette. Après bien des détours, elle finit par apprendre que sa jeune correspondante a perdu la voix à la suite d'une méningite. Elle demande : — C'est grave ? Un coup plus fort que les autres, et la correspondante raccroche. Mais le lendemain elle rappelle. Et les mois suivants, tous les trois ou quatre jours, Madeleine Béraud reçoit, à 11 heures du soir, un coup de fil de sa petite muette. Le plus souvent, c'est elle qui parle seule, racontant sa vie quotidienne, les problèmes de ses enfants, leurs résultats scolaires. De temps en temps, au contraire, elles entament leur étrange et émouvant dialogue à la manière des tables tournantes. Madeleine apprend ainsi que sa correspondante faisait des études pour être secrétaire trilingue et que, malheureusement... C'est à peu près tout ce qu'elle peut apprendre d'elle. Car, à toutes les autres questions, elle se heurte à un silence obstiné. (à suivre...)