Résumé de la 3e partie n Maman serpent apprend à son fils que le grenouillot est apprécié par eux – en tant que mets – pas pour s'amuser avec lui et ce, au grand étonnement de son fils... Dans les yeux dorés de Serpenteau, la fente noire s'est faite toute ronde. — Tu veux dire que nous les mangeons ? Oh, je ne pourrai jamais. Et surtout pas Grenouillot. C'est un copain, tu comprends. — Un copain ! Qu'est-ce que tu me chantes ? Mais ça n'a ni queue ni tête ! Comme si on faisait du sentiment entre grenouilles et serpents ! Maintenant, écoute-moi, petit : la prochaine fois que tu vois ton ami, fais le fou avec lui, mais sitôt que la faim te prend, fini de jouer, mange-le ! Serpenteau n'a rien dit. Il a baissé le nez, il est allé se coucher. Le lendemain matin, Serpenteau s'est levé tôt. Il s'est faufilé sans bruit hors de son lit d'herbes sèches, s'est étiré longuement. Le souvenir lui est revenu des paroles de sa mère, la veille, et du frisson de plaisir qui lui a couru le long de l'échine en étreignant son ami. Il a avalé distraitement son petit déjeuner d'œufs de loriot et s'est coulé hors du trou. — Et n'oublie pas, lui a rappelé sa mère, ce que je t'ai dit des grenouilles. Méfie-toi de tout ce qui est grand, de tout ce qui a griffes et dents, mais les grenouilles, régale-t'en. — Grifédan, Grifédan, chantait Serpenteau en rampant. Il est allé dans la brousse pour y attendre Grenouillot. Il lui tardait de faire le fou, tout le jour, avec son ami, et de couronner la journée en se délectant de lui. Que ce serait bon de le serrer, serrer fort, de l'enlacer à l'en étouffer ! Le soleil était bon aussi, et Serpenteau chantait tout haut : Fais un vœu, J'en fais un aussi, Et que les deux Soient accomplis ! Mais le soleil montait, montait, et Grenouillot ne venait pas. — Eh bien, il en met du temps ! se disait Serpenteau. Peut-être qu'il a attrapé mal au ventre, à ramper comme il l'a fait hier ? Il faut que j'aille au-devant de lui. Serpenteau s'est mis en chemin, et il a eu tôt fait de trouver le marigot et le trou de Grenouillot. Il a frappé à la porte, trois bons coups, du bout de la queue. Toc, toc, toc. Y a quelqu'un ? — Seulement moi ! a dit Grenouillot. — Bonjour, c'est moi, Serpenteau. Tu veux bien me laisser entrer ? — L'ennui, c'est que Maman est sortie, et qu'elle m'a interdit d'ouvrir à qui que ce soit. — Alors sors et viens jouer. Je t'ai attendu toute la matinée. — Impossible, a dit Grenouillot. Pas pour le moment, en tout cas. — Dommage, tu sais, parce que Maman m'avait appris un nouveau jeu. J'aurais bien aimé te le montrer. — Je comprends, a dit Grenouillot. Je comprends même très bien. — Tu ne sais pas ce que tu manques. — Peut-être, mais je sais ce que toi tu manques ! a éclaté de rire Grenouillot. Serpenteau a eu un soupir. — Je vois : ta mère t'a appris des choses. La mienne aussi, comme tu l'as deviné. Alors, queue traînante et tête basse, Fils de Serpent est reparti, toujours soupirant, dans les herbes. Il n'y avait plus rien à faire, plus rien à dire, il avait tout perdu : un ami et un festin. Fils de Serpent et fils de Grenouille n'ont pas oublié cette belle journée passée ensemble. Ni l'un ni l'autre, plus jamais, ne s'est tant amusé que ce jour-là. Souvent encore on les voit rêver, perdus dans leurs souvenirs, l'un sur une feuille de nénuphar, l'autre sur une pierre au soleil. Ils songent à ce jour merveilleux où ils ont fait les fous dans la brousse sans savoir qu'ils étaient ennemis, et chacun se demande à part soi : «Et si personne n'avait rien dit ? Si nous étions restés amis ?» Mais ils n'oseront plus jamais, jamais, faire la moindre partie ensemble. Fais un vœu, J'en fais un aussi, Et que les deux Soient accomplis.