Si l'on pouvait remonter dans le temps, mais loin, très loin, jusqu'au matin du monde, on verrait qu'au commencement les animaux n'avaient pas de queue. Mais parfaitement, pas de queue ! Au commencement, Raluvhimba, le dieu du Bavenda, avait créé les animaux sans le plus petit semblant de queue. Et après tout, pour quoi faire une queue ? Raluvhimba n'y avait même pas songé une minute. Pas au commencement, en tout cas. Les animaux n'avaient pas de queue, c'est tout. Quand Raluvhimba descendait du ciel pour une petite visite sur terre, il allait s'asseoir toujours au même endroit, sur son repaire favori, la cime du mont Tsha-wa-dinda. De là-haut, tranquillement, il contemplait son œuvre : les monts et les vallées, les arbres et les fleuves, le soleil, la lune, les étoiles. — Hé hé, se disait-il (car en ce temps-là il n'avait que lui-même à qui s'adresser). Par ma foi, ce monde a plutôt fière allure. Je n'en suis pas mécontent. Un jour qu'il se délassait ainsi sur le mont Tsha-wa-dinda, Raluvhimba fit un petit somme au creux de la caverne Luvhimbi. Dans son sommeil il vit en songe toutes sortes de créatures bizarres aller et venir sur terre. «C'est une idée», se dit-il à son réveil. Et il se mit au travail. Et c'est ainsi qu'en quelques jours Raluvhimba créa les animaux : l'éléphant et le porc-épic, le lapin et le rhinocéros, le singe et le buffle, le renard et le lion – à poils ras ou angoras, à piquants, petits et grands, par centaines, et tous différents. Oh, ce ne fut pas une mince affaire ! Aucun de ses essais ne fut un succès du premier coup. La crinière du lion, par exemple, était si longue au commencement qu'il se prenait les pattes dedans ; il fallut la lui retailler. La peau de la chèvre la tiraillait de partout, à peine si elle pouvait respirer ; il fallut défaire les coutures. L'éléphant (sans défenses) avait l'air bien trop doux, et le rhinocéros (sans cornes) n'avait l'air de rien du tout. Pour finir, Raluvhimba s'amusa à créer quelque chose de minuscule. Ce fut la souris des champs. Il la prit au creux de sa main pour la regarder de plus près. — Hé hé, dit-il, plutôt content de lui. Pas vilain ma foi. Et qu'on n'aille pas me dire que ce n'est pas petit ! Et tous les animaux reprirent en chœur : — Oh si, c'est petit ! Vraiment tout petit. Et joli, aussi ! Mais jusqu'ici, petits ou grands, les animaux n'avaient pas de couleurs. Alors Raluvhimba cueillit des plantes ici et là, et il se concocta toutes sortes de teintures. Avec des restes de poils il se fit un pinceau, et il peignit ses animaux – les uns en uni, les autres bariolés, les uns avec des taches, les autres des marbrures, d'autres encore avec des rayures. — Maintenant, plus rien ne vous manque, dit-il à son petit monde. Et je peux vous dire : vous êtes beaux. En ce temps-là, il n'y avait pas le moindre être humain sur terre. Raluvhimba n'avait pas encore imaginé de créer l'homme, aussi tous les animaux vivaient-ils sans crainte aucune. Ils allaient et venaient à leur guise, broutaient ce qui leur tombait sous la dent. Ils avaient bon appétit, mais de bonnes manières aussi. L'idée ne leur serait pas venue de se dévorer entre eux. Ils étaient tous végétariens. L'agneau faisait la sieste entre les pattes du lion, le renard léchait le lièvre. Ils vivaient en paix, tous ensemble. (à suivre...)