Aïn Naâdja Il est 10 heures, ce mercredi 11 avril, et voilà près de deux heures maintenant que Ali B. dialogue avec les «voix» qui résonnent dans sa tête. Il leur répond, parfois, en lançant des phrases incohérentes. D?autres fois, il tremble de tous ses membres. Puis, l?espace de quelques secondes, il semble revenir à la réalité comme s?il sortait d?un cauchemar, il pose son regard sur la petite femme brune, à la silhouette légèrement déformée par un début de grossesse, qui se tient à ses côtés? Dans ces moments-là, Akila reprend espoir que cette fois-ci, la crise est en train de passer, qu?Ali B. va vaincre les démons qui le hantent. Il va revenir à la vie. Il va lui revenir à elle comme il le fait depuis dix ans. C?est en 1994 que la maladie s?est déclenchée. A cette époque, Ali B. a 24 ans. C?était un enfant surdoué puis un adolescent supérieurement intelligent ; il a grandi et a toujours fait la fierté de ses parents et de ses frères aînés. Tout ce qu?il entreprend, Ali B. le réussit. Il vient d?entrer à l?université de Ben Aknoun où il suit des études de droit. Il obtiendra son diplôme d?avocat. Et alors, toutes les portes lui seront ouvertes, même celles d?une carrière politique. Malheureusement, rien de tout cela ne va se réaliser. Une nuit de l?année 1994, Ali B. se réveille en proie à un violent délire, il entend des bruits résonner dans sa tête. Et peu après, une voix s?élève dans son esprit. «Ton père est mort», lui siffle-t-elle. «L?homme qui vit avec toi dans cette maison n?est qu?un imposteur, un démon, tu dois le tuer !» Ali B. obéit à cette injonction démentielle. Il se lève, vêtu de son seul pyjama, et se dirige vers la chambre de ses parents. Arrivé au chevet de leur lit, il se penche? par bonheur, au moment où il va saisir la gorge de son propre père de ses mains puissantes, celui-ci se réveille ! Seuls son sang-froid et sa présence d?esprit lui permettront de raisonner Ali B. de ne pas commettre l?irréparable. Dès le lendemain, les B. prennent rendez-vous avec un psychiatre. Le diagnostic tombe tel un couperet : Ali le surdoué est atteint d?une grave maladie mentale, la schizophrénie ; il faut l?interner dans un hôpital psychiatrique. Le jeune homme va rester enfermé un an en proie au délire le plus total. Il est persuadé que les gens veulent le tuer. Quand les médecins qui le soignent s?approchent de lui, il tremble de peur. Il pense que ce sont des ennemis qui le traquent et qu?ils vont le découper en petits morceaux. Mais contre toute attente, les psychiatres finissent par lui administrer un cocktail médicamenteux efficace et son état mental s?améliore. L?ancien Ali B. le jeune homme doué et brillant refait peu à peu surface. Et début 1996, miracle ! les médecins l?autorisent à rentrer chez lui et même à reprendre ses études à l?université de Ben Aknoun. C?est quelques mois plus tard, sur le campus, qu?il fait la connaissance de Akila âgée, à l?époque, de 24 ans. Cette femme, originaire de la même région que lui et issue d?une famille nombreuse, poursuit, elle aussi, des études de droit. C?est une brunette au rire communicatif à laquelle il préfère cacher qu?il sort de l?asile. Mais quand il le lui avoue, elle ne cesse pas pour autant de le fréquenter et même de l?aimer. Akila a conscience que Ali B. a été terriblement malade. Elle sait que sans les médicaments qu?il ingurgite tous les matins, il replongerait, sans aucun doute, dans la folie. Mais elle est persuadée que son amour pour lui l?aidera à triompher définitivement de tous ces démons. En fait, il semblerait que ce fut le cas. Au cours des années 1997/1998, Ali B. passe ses examens avec succès. Il vit tout à fait normalement. Akila, toute à son euphorie, ne prend pas au sérieux l?incident qui se produit le jour même de leur soutenance, au moment de monter sur l?estrade où on vient de l?appeler... (à suivre...)