Il est difficile d'imaginer un lieu moins approprié pour la naissance d'un brave nationaliste que celui où était né Aït Messaoudène Saïd. Il a vu le jour en 1933, à Had Sahari, avait vécu avec ses parents et s'était rendu, en compagnie de sa famille à Birine, lorsqu'il avait atteint l'âge de 2 ans. Il était revenu à son village, An Oudourt, pour acquérir les qualités de ses habitants, puis il revint à Had Sahari en 1939, et là il entra à l'école primaire officielle, en plus des cours qu'il suivait à l'école traditionnelle. Les cours duraient alors toute la journée ; après la prière de l'aube, il se rendait à l'école traditionnelle, et à huit heures, il se rendait à l'école ; à onze heures, il revenait vers l'école traditionnelle jusqu'à treize heures, puis retournait à l'école officielle. En 1944, il se rendit, en compagnie de son oncle, Terki El Mokhtar, qui l'inscrivit à l'école d'indigènes pour terminer ses études primaires, puis il entra à l'école technique, appelée Beau Prêtre (Larbi Tebessi actuellement). En 1951, la France publia une annonce qui fut accrochée à l'école technique, annonçant son besoin en pilotes, tous ceux qui le voulaient pouvaient participer au concours. Ainsi, Aït Messaoudène Saïd avait pris part au concours et avait été classé premier. Il entra donc à l'école d'aviation à Rochefort, et là, il décrocha le baccalauréat. A cette époque, l'Allemagne était sous l'occupation des alliés et dans la ville d'Afrizang se trouvait une grande base aérienne ; les alliés décidèrent alors d'en faire une école pour former des pilotes, chaque pays pouvait formuler une demande selon le nombre qui lui était réservé, le plus grand nombre revenait aux Etats-Unis d'Amérique qui avaient 100 étudiants, la Grande-Bretagne 19 étudiants, la France 6 étudiants. Pour cela, la France fut contrainte d'organiser un concours dans les rangs des Forces aériennes pour sélectionner six éléments. Aït Messaoudène Saïd avait donc participé au concours et fut classé premier par rapport aux hommes des Forces aériennes françaises. Il s'était rendu alors en Allemagne pour être formé avec les étudiants des alliés ; après cela, il revint à Salon-de-Provence, en France, où il termina ses entraînements et sortit avec le grade de sous-lieutenant. Il fut désigné pour travailler à la base de l'Alliance atlantique aérienne n° 707 se trouvant à Marrakech, au Maroc, où il pilotait le « Mystere 20 ». Et là, il entra en contact avec la famille Djoudi, propriétaire de la compagnie de transport à Marrakech, laquelle était originaire de la ville de Blida, et qu'il connaissait, c'est elle qui l'avait mis en contact avec Boudaoud Mansour, l'un des plus grands responsables de la direction de la Révolution, qui lui demanda donc d'intégrer les rangs de l'Armée de libération à ce moment-là. Aït Messaoudène l'avait informé qu'il avait été appelé à retourner en Allemagne en vue d'achever son stage d'entraînement. Boudaoud Mansour lui avait conseillé de se rendre en Allemagne afin de terminer son stage et lui avait remis une lettre lui disant : « Lorsque vous arriverez à Paris, contactez cette adresse ». Une fois arrivé, il trouva Abderrahmane Fares qu'il a connu à Had Sahari, lequel lui remit une autre lettre avec une adresse en Allemagne. Une fois à destination, il trouva Keramane et Mouloud Kacem Naït Belkacem, les représentants du FLN. Il commença alors son stage d'entraînement, et suite à sa réussite, il fut promu au grade de lieutenant ; il demanda alors à ses dirigeants en Allemagne de lui accorder un congé pour pouvoir rendre visite à sa famille. Suite à leur accord, il ne s'était pas rendu dans sa famille, mais avait rejoint la Révolution en entrant en Suisse à pied, évitant les points de contrôle et de fouille. Une fois arrivé à Berne, il se rendit à l'ambassade d'Egypte qui lui avait remis des papiers et un passeport égyptiens sous le nom de Hamidou, lesquels lui avaient servi pour entrer en Italie, et là, il trouva Tayeb Boulahrouf qui l'envoya en Tunisie. Le frère du défunt, El Hadj Ahmed Aït Messaoudène, me racontait que Saïd lui avait envoyé une lettre d'Italie contenant uniquement deux phrases. « Mes salutations à la famille, je ne retournerai pas en France ». Son frère avait donc compris le sens, et après quelques jours, il fut convoqué par la gendarmerie française pour lui demander si son frère se trouvait dans la région de Had Sahari. L'histoire de l'adhésion d'Aït Messaoudène à la Révolution est différente vue du côté de l'Alliance atlantique. La revue Flight International, parue le 10 avril 1969, dit que le sous-lieutenant Aït Messaoudène Saïd avait pris la fuite à bord d'un avion militaire français, et avait atterri en Yougoslavie, ce qui fut la cause d'une grave crise diplomatique entre la France et le pays hôte. La Tunisie et les enquêtes intensifiées Lorsque Aït Messaoudène Saïd arriva en Tunisie, il fut reçu avec réserve, vu la loi qui était en vigueur au sein de l'Armée de libération et qui stipulait que toute personne ayant rejoint la Révolution devait faire l'objet d'une enquête pour s'assurer de ses intentions. Ainsi commença l'enquête par plusieurs responsables vu son haut grade et sa grande culture et du fait qu'il était pilote dans l'Alliance atlantique, ayant de grands privilèges et avec cela, il laissa tout tomber pour rejoindre la Révolution. La nouvelle était arrivée au ministre de la Guerre, qui était alors le défunt Krim Belkacem, lequel l'avait convoqué pour l'interroger personnellement. Quand ils se rencontrèrent et que le ministre lui posa des questions, il s'avéra qu'il connaissait donc sa famille et ordonna son intégration immédiate dans les rangs de l'Armée de libération, en lui confiant pour mission de superviser l'institution de l'aviation militaire algérienne. Aït Messaoudène et l'institution de l'aviation militaire La Direction de la Révolution avait une stratégie à long terme, en dépit de la guerre en Algérie, on pensait à utiliser l'aviation algérienne dans les combats et en profiter pour fournir à la Révolution des armes par la voie de parachutes ou les transporter à bord d'hélicoptères qui atterriraient sur le sol algérien pour décharger la cargaison et retourner ensuite vers leur base. En même temps, il serait le premier noyau pour instituer une arme de défense aérienne après l'indépendance, ainsi pensaient le colonel Krim Belkacem et le colonel Boussouf et d'autres. A cet effet, Aït Messaoudène Saïd fut chargé de mener une délégation de pilotes militaires en Chine. A leur arrivée, il divisa le groupe en deux : 1- le groupe des avions de guerre, à sa tête le général de brigade, le défunt Yahia Rahal, et les membres Bouzghoub Mohamed Tahar et le défunt Rabah Chellah, que Dieu lui accorde sa miséricorde et d'autres. 2- le groupe de bombardiers, à leur tête le colonel Boudaoud Salah, et le défunt colonel Mustapha Doubabi, que Dieu lui accorde sa miséricorde, et le défunt colonel Abdallah Kenifi, en plus d'un groupe de techniciens dirigé par le défunt colonel Moussouni Belkacem, ainsi que le défunt colonel Kamel Chikhi, le commandant major Abderrahmane Seghir, et le colonel Hadfi Rahal. Tous ceux-là avaient commencé à travailler sérieusement et à se former continuellement jusqu'à ce que le colonel Boussouf ordonna à Aït Messaoudène Saïd de se rendre immédiatement, en compagnie de tous les pilotes, à Baghdad et à son arrivée, il trouva là-bas les pilotes diplômés du Caire également. Ce rassemblement répondait à la volonté du colonel Boussouf, que Dieu lui accorde sa miséricorde, de créer une base aérienne en Libye, à proximité des frontières algériennes, aux fins d'utiliser l'aviation pour approvisionner les moudjahidine (combattants) en armes par des descentes en parachutes. Cependant, les Etats du bloc de l'Est, et notamment l'Union soviétique, se sont opposés à la création d'une telle base en raison de la difficulté d'assurer sa protection et des problèmes et complications politiques qui pourraient en découler. Pour cette raison, l'alternative était de former un escadron d'hélicoptères pour transporter les armes à l'intérieur avec l'aide de pilotes volontaires, avec à leur tête Aït Messaoudène. Après le déchargement de la cargaison, l'hélicoptère retournerait à son point de départ. Aït Messaoudène s'était donc rendu en compagnie des pilotes algériens en Union soviétique afin de se spécialiser en pilotage d'avions de combat et de bombardiers. Un autre groupe a été formé pour le transport, sous le commandement du défunt capitaine Abdelkader Tahrat dans le pilotage des Antonov 12. Pour former un escadron d'hélicoptères, comme il a été mentionné plus haut, dans le but de transporter les armes à l'intérieur du territoire algérien, il a été fait appel à des pilotes volontaires. A la fin des stages d'entraînement, Aït Messaoudène et le groupe qui l'accompagnait sont revenus en Algérie. Constitution des forces aériennes algériennes Lorsque Aït Messaoudène était rentré avec les pilotes et les techniciens en Algérie, ils avaient trouvé que les gens étaient partout animés d'enthousiasme, les montagnes s'étaient transformées en lieux de visites et les rues en lieux de marches et démonstrations. On voyait partout les drapeaux flotter, c'était dans ce climat que les complots avaient commencé à se fomenter contre Aït Messaoudène dans le but de le remplacer par quelqu'un d'autre à la tête de l'aviation. A ce moment-là, un groupe d'officiers s'était rendu chez El-Hadj Ben Alla, alors responsable des affaires militaires, pour le convaincre de maintenir Aït Messaoudène Saïd en tant que commandant de l'aviation, lequel a été précédemment désigné par le colonel Boussouf pour occuper ce poste. C'est ainsi que Aït Messaoudène avait commencé à exercer ses fonctions, et la première base aérienne militaire avait été créée à Dar El Beida, et son premier commandant fut le défunt colonel Mustapha Doubabi, puis d'autres bases aériennes avaient été installées, telles que la base de Boufarik, Aïn Oussera, Ouargla et d'autres. Aït Messaoudène exerçait ses fonctions à partir de son bureau au Palais du gouvernement avec abnégation et dévouement sans pareils, loin de tout conflit personnel, et il est peut-être le seul parmi les responsables à être resté quelqu'un d'indépendant sans ennemis ni appuis, c'est cela même le secret de sa force et de sa faiblesse aussi. Il était un élément d'apaisement et d'équilibre, alors que naissaient des conflits entre ses amis, c'était un homme sans ennemis. Aït Mesaoudène et la crise d'octobre 63 avec le Maroc A cette époque, un différend concernant les frontières était né entre l'Algérie et le Maroc. Un affrontement armé a eu lieu entre les deux pays, durant lequel l'aviation marocaine fut utilisée pour frapper les troupes d'approvisionnement allant de Béchar vers Tindouf et entre Tindouf et les frontières. A ce moment-là, Aït Messaoudène avait ordonné à ce que les avions prennent la direction du Sud sous son commandement. A notre arrivée à la base de Mechria, nous avions trouvé des forces françaises dirigées par un capitaine chargé de surveiller la piste d'atterrissage. Quant à la base de Béchar, qui était une base atomique, nous avions été empêchés de nous y rapprocher ou d'y atterrir ou d'enclencher des combats aériens sur son territoire aérien, d'après les dires du général français qui s'était entretenu avec Aït Messaoudène. Suite à cet entretien, le ministère français de la Défense était intervenu à partir de Paris, la teneur de son discours n'avait pas encore été révélée, le moment n'étant pas opportun. Ainsi, Aït Messaoudène, grâce à son expérience, avait pu utiliser les bases aériennes se trouvant à l'Ouest algérien et réaliser son objectif qui était d'empêcher l'aviation marocaine d'attaquer les troupes se rendant à Tindouf. Terzi et le mariage d'Aït Messaoudène Terzi, employé au ministère des Affaires étrangères, était un ami d'Aït Messaoudène depuis la guerre de libération, il avait pris une épouse de la famille Terki, connue à Bejaïa. Il lui parlait généralement de cette famille et lui disait qu'il était prêt à faire l'intermédiaire si Aït Messaoudene voulait bien se marier dans cette famille. C'est ainsi que Aït Messaoudène s'était rapproché de ladite famille pour prendre épouse en 1963. De son union avec cette dame respectable, sont nés deux filles et trois garçons : Amine, né en 1967, Seddik né en 1970 et Omar né en 1976. En 1967, ses fonctions à la tête de la direction de l'aviation militaire avaient pris fin. Il avait été appelé par le défunt Président Houari Boumediène qui l'avait nommé comme son conseiller jusqu'en 1969, date à laquelle il avait été désigné comme président directeur général de la compagnie aérienne nationale. Lorsqu'il l'avait quittée en1972, la compagnie avait réalisé un bénéfice considérable. De 1972 à 1977, Aït Messaoudène avait été désigné ministre des PT T au sein du gouvernement du défunt Houari Boumediène. Du 22 avril 1977 au 8 mars 1979, il avait été nommé ministre de la Santé au gouvernement du défunt Président Houari Boumediene. Du 28 mars 1979 au 22 janvier 1984, il avait été nommé ministre de la Petite et Moyenne Industrie au gouvernement du président Chadli Bendjedid, que Dieu lui prête longue vie. Ensuite, il avait été élu membre pour la wilaya d'Alger auprès de l'Assemblée Populaire Nationale, pour devenir vice-président de l'Assemblée jusqu'en 1991. Il avait ensuite occupé un poste purement politique lorsqu'il était devenu membre de la direction du Front de Libération Nationale. Quand le temps l'a épuisé, sa maladie ayant empiré, il a continué à résister, et je me rappelle que nous nous rendions ensemble à des conférences, meetings intellectuels et célébrations de couronnement, lesquelles étaient organisées en son honneur, comme lorsqu'il a été honoré au journal El-Moudjahid et autres. Il n'a pas cessé de sortir et de rendre visite parfois aux amis, et parfois à des obligations familiales jusqu'en 2008 quand la maladie l'avait obligé à ne plus sortir après une longue lutte et une courageuse résistance. La dernière fois que je lui ai rendu visite à Aïn Naâdja, il m'avait semblé qu'il avait pris cinq ans de plus, il était malade et dans un état difficile à décrire et dans ses yeux qu'il n'ouvrait que rarement se trouvait un nuage de tristesse que je n'avais jamais vu auparavant, avec cela, il sentait ma présence et me tenait la main avec vigueur, comme s'il me disait « Je t'ai reconnu ». Ainsi était Aït Messaoudène Saïd, le combattant et l'officier, le pilote, le commandant, le ministre, le vice-président de l'Assemblée populaire nationale, et le militant qui avait rendu de solennels services à son pays et à sa nation et qui avait délaissé les avantages et l'avenir sûr et il était parmi les rares personnes qui avaient rejoint l'Armée de Libération Nationale avec le grade d'officier, lieutenant de section, et avec cela il n'a pu réaliser un succès fulgurant, où occuper les premières places de direction parce que la politique, dans le Tiers-Monde, et nous en faisons partie, requiert des qualités autres que la droiture, l'intégrité et le contournement de conflits. Ceux qui travaillent en politique sans avoir de ruse et la capacité de comploter ne peuvent pas gagner à tous les combats à la fin. Repose-toi donc, toi qui est le plus honorable, le plus pur, le plus généreux, le plus vaillant, le plus patient, parce que je te retrouverai sur les pages des livres si je peux vivre plus longtemps pour écrire sur Aït Messaoudène le père, et Aït Messaoudène l'homme de société, et Aït Messaoudène l'intellectuel. En résumé, le corps est périssable, mais les actes restent. Je salue tous ceux qui m'ont aidé à réaliser ce sujet et je cite en particulier le colonel Boudaoud Salah. M. A. : Colonel en retraite