Dans les quartiers d'Alger, la consommation de stupéfiants est banalisée chez les jeunes depuis longtemps. Toutes sortes de produits circulent dans nos cités. Chaque quartier a ses dealers, ses caïds et, bien sûr, sa clientèle et ses consommateurs. Ces individus sont plus ou moins réputés. Certains sont des dealers et des consommateurs notoires tandis que d'autres se font plus discrets. Virée dans un monde caractérisé par la peur, les menaces, les intimidations et la violence…. On se retrouve entre amis et on profite de ces moments que les jeunes appellent el-khalwa, (la quiétude). Il est 21 heures et nous sommes à quelques encablures de la plage de La Madrague, à Aïn Bénian, sur la côte est d'Alger. C'est là où habite Farid, 28 ans, chômeur et exclu du système scolaire en 7e AF. Un quartier jadis calme, mais qui est devenu, depuis une dizaine d'années, «la Sicile de Aïn Bénian», comme on l'appelle ici. Farid est ponctuel et fidèle à l'endroit, même par cette nuit très froide. «Je viens ici régulièrement, question d'oublier et de me ‘'remplir la tête'' (naâmar rassi). Ici, c'est calme et je ne dérange personne», explique-t-il. Farid, cadet d'une famille de 9 enfants, est né dans le quartier, mais ses parents sont originaires de Béjaïa. Il est très calme et aime beaucoup commenter les événements politiques. Cette fois, il fait un long discours sur la fameuse humiliation «à la chaussure» subie par le président américain en Irak. Farid, que nous avons rencontré en train de fumer un joint, a les mêmes habitudes de consommation, propres à tous les toxicomanes. Il tire une grosse bouffée de son joint. Profonde inspiration, regard dans le vague. Ici, les minutes s'écoulent lentement, estime-t-il. Soudain, des silhouettes apparaissent à l'horizon. Oubliant notre présence, Farid devient subitement vulgaire et lance des mots grossiers. il gronde ses trois amis qui ont un peu tardé pour le rejoindre. «Mais où étiez-vous passés, fils de ... ?» Ils s'agit de Réda, Azzedine et Moha «ses potes de joint...». A peine arrivés, ils le traitent, à leur tour, de tous les noms d'oiseaux. Pour eux, c'est un langage amical et largement utilisé. Installés, le joint tourne. Les trois amis de Farid avec lesquels il échange quelques propos sont, eux aussi, natifs du quartier. Moha, 30 ans, est un habitué des lieux où, avec ses amis, il passe des heures à «tuer le temps au bord de la mer après l'avoir tué le jour dans les cafés». «Il y a quelques années, celui qui voulait fumer un joint devait le faire en cachette, cela faisait mauvais genre. Maintenant, les jeunes prennent de plus en plus tôt des drogues de plus en plus dures et c'est celui qui ne touche à rien que l'on montre du doigt», dit-il en s'étonnant de cette mutation qui a bouleversé les valeurs. «Dans notre quartier, plus de 50% des jeunes consomment du cannabis ou des psychotropes», révèle-t-il en bon connaisseur des milieux toxicomanes. «Et même certaines filles en prennent», ajoute-t-il sans vouloir entrer dans les détails, «honneur du quartier oblige». Beaucoup ne se contentent pas d'un simple joint. Ils en fument jusqu'à l'extase et jusqu'au matin. La drogue est vendue en petits morceaux. Il y a le fameux «bout de cinq» comme l'appellent les consommateurs (par rapport à son coût, 50 DA) et «le bout de 10», un morceau de 20 grammes vendu à 100 DA…