Les importateurs de livres sont désormais obligés de présenter des certificats… phytosanitaires, de conformité, d'origine ! De fait, le livre est associé à une vulgaire marchandise. «C'est une décision absurde», dénoncent les professionnels du secteur. Y a-t-il une exception ou une spécificité culturelle en Algérie ? Le livre revêt-il un statut particulier ? En somme, quelle place occupe le livre dans nos mentalités et nos mœurs ? Il se trouve que le livre est vulgairement associé à une marchandise consommable. Il a, aux yeux des décideurs, peu de valeur culturelle ou d'intérêt intellectuel et il est en conséquence dépourvu d'un statut particulier. Il ne revêt alors aucune différence ou spécificité culturelle. «Chez-nous, la spécificité culturelle, on connaît», ironise Boussad Ouadi, éditeur et importateur de livres, et aussi libraire (librairie des Beaux-Arts). Car, «le livre, explique-t-il, subit des réglementations de tous genres et d'interdits injustifiés». Ces propos sont tenus en réaction à l'instruction promulguée par la Banque d'Algérie en direction de toutes les banques pour exiger de leurs clients importateurs la production des documents suivants : certificats phytosanitaires, certificats de conformité et certificats d'origine. Boussad Ouadi s'indigne contre cette prescription qu'il qualifie d'injustifiée et d'aberrante. «C'est absurde», lance-t-il. Et de poursuivre : «Un certificat phytosanitaire ! Pourquoi ? Car les livres se dévorent ? Mais à quelle spécialité médicale ou vétérinaire devons-nous nous adresser pour la délivrance de ce certificat ?». «Un certificat de conformité !», s'exclame-t-il, «Par rapport à quoi ?», s'interroge-t-il. Et de se demander : «à quelles normes techniques, scientifiques ou juridiques doit répondre le livre ? Conforme par rapport à une idéologie ?» S'exprimant sur le dernier certificat, celui d'origine, Boussad Ouadi dit : «D'origine, de l'auteur, de l'éditeur, de l'imprimeur, du diffuseur ?» Et d'expliquer : «Il existe pourtant un système international de codification des livres dont l'Algérie est partie prenante : c'est le système ISBN qui comporte en 13 chiffres l'indication du pays, de la langue, de l'éditeur, de la spécialité, etc. Le code barre au dos de chaque livre, à nul autre pareil, est sa pièce d'identité, lisible par tous les lecteurs de code barre de la planète. «Ainsi, Boussad Ouadi s'interroge sur l'utilité de ces certificats, notamment le premier, à savoir le certificat phytosanitaire qui, lui, concerne le secteur de l'agroalimentaire. «Ce certificat est absurde. Il n'a aucun sens pour un importateur de livres», dit-il. Et d'ajouter : «Car pour importer un livre, doit-on s'adresser au ministère de la Santé et lui solliciter un visa phytosanitaire ?» Cela revient d'emblée à dire que promulguer pareille directive signifie systématiquement et littéralement que le livre est considéré par les décideurs comme une marchandise pareille à un quelconque produit consommable et à valeur marchande. Tout comme cela revient à dire que les décideurs n'ont aucun intérêt ni considération pour le livre, et ils n'ont aucune connaissance sur la particularité du livre, en tant que produit culturel et de l'esprit. Le livre se trouve alors pris en otage par des décisions absurdes et injustifiées. l Boussad Ouadi craint pour l'avenir du livre en Algérie. «En Algérie, l'Etat surtaxe le livre et ne le subventionne pas. En plus, on promulgue des directives exigeant des importateurs des certificats pour valider leurs produits», dit-il. Et de souligner la gravité d'une telle décision : «Ces visas présentent un risque.» Car cela circonscrit la liste éditoriale et, du coup, limite la circulation des livres en Algérie. En somme, la circulation des livres sera plus canalisée et davantage, voire rigoureusement contrôlée. Autrement dit, l'Etat édicte et prescrit ses règles, et cela en imposant au lectorat un type de lecture, celle en conformité avec son idéologie et sa vision politique. Il est à noter qu'à ces trois certificats s'ajoutent trois autres visas aux importateurs de livres, à savoir celui de la PAF (Police de l'air et des frontières), celui du ministère de la Culture, et un autre délivré par le ministère des Affaires religieuses. «Tous les livres sont – pour les décideurs – suspects», lance Boussad Ouadi, avant de préciser : «Tous ces visas n'ont pas lieu d'être et ne peuvent pas être considérés comme des autorisations. Les visas engendrent la bureaucratie et même la corruption.» Il a, ensuite, rappelé que les lois internationales promulguées par l'Unesco et auxquelles l'Algérie adhère, favorisent manifestement la circulation libre et sans contrôle des livres. Et de regretter : «Chez-nous, nous n'avons pas encore pris conscience de l'importance de la culture. Le livre est placé au même plan qu'un quelconque produit commercial. Il n'y a pas une spécificité culturelle. La culture, chez-nous, se résume au folklore. Les industries culturelles ne comptent pas.»