Un jour, alors que Aïcha jouait tranquillement dans la cour, elle trouva un petit oiseau esseulé, incapable de voler ou de se nourrir seul. Elle alla donc chercher la vieille cage qui se trouvait à la cave et y déposa le petit oiseau, en prenant soin de lui donner de l'eau et quelques graines. Puis elle plaça la cage dans sa chambre, sur le rebord de la fenêtre, et continua à le nourrir semaine après semaine. Mais malgré cela, le petit oiseau semblait toujours triste et ne chantait jamais. Aïcha se dit que ce devait être dans sa nature et que, comme certaines gens, certains oiseaux pouvaient ne pas aimer chanter et avoir constamment la mine triste. A partir de là, elle ne fit plus cas de son air. Par un beau soir d'été, Aïcha décida d'aller se promener comme elle avait l'habitude de le faire quand le temps était doux. Il soufflait un vent léger et chaud du sud, et Aïcha adorait sentir ses boucles châtain flotter sur ses épaules. L'air était si bon qu'elle marcha beaucoup plus longtemps et beaucoup plus loin que d'ordinaire, sautant çà et là sur le trottoir comme s'il s'était agi d'une marelle. Elle marcha et sautilla tant et si bien qu'elle se laissa surprendre par la brunante ; c'est alors qu'elle décida de rebrousser chemin. Mais la nuit tombait très vite et la rue se vidait déjà ; bientôt, il fit noir. Lorsqu'elle passa devant le studio du photographe, Aïcha remarqua qu'une nouvelle enseigne venait d'être posée juste au-dessus de la porte. Le photographe et son appareil, sorti tout droit d'une époque que Aïcha ne connaissait pas, y étaient représentés tout en couleur, avec des dorures et des bas-reliefs. C'était une véritable ?uvre d'art et on sentait que l'artisan qui l'avait fabriqué y avait mis beaucoup d'amour et avait du talent. Tout était d'un tel réalisme qu'on eût cru que c'était le véritable photographe qui se trouvait là, tout souriant, figé sur l'enseigne de bois. Aïcha ne put s'empêcher de s'arrêter pour contempler le chef-d'?uvre. Soudain, un éclair l'aveugla. Elle resta éblouie pendant quelques secondes mais, au travers des milliers de petits soleils qui avaient envahi sa vision, elle finit par distinguer une forme humaine qui se dressait devant elle. C'était le photographe qui venait de sortir de l'enseigne et qui la regardait en souriant gentiment. «Bonsoir Aïcha ! Aimerais-tu que je te prenne en photo ?», demanda-t-il à la fillette, qui restait là, bouche bée et les bras pendants. «Be... bien, pou... pourquoi pas !», finit-elle par bégayer. Puis elle prit la pose et se mit à sourire de toutes ses forces. Le photographe empoigna alors sa petite poire, s'enfouit la tête sous son drap noir et pointa son appareil vers Aïcha. Puis, il dit : «Attention ! Le petit oiseau va sortir !» Et il y eut encore un éclair. Après quelques instants à n'y voir que du blanc, Aïcha recouvra enfin la vue. Mais quelle ne fut pas sa surprise de constater à ce moment qu'aucun oiseau n'était sorti de l'objectif, ni d'aucune autre partie de l'appareil photo. En fait, ce qui était sorti de la vieille antiquité, c'était une grenouille. «Une grenouille ? s'exclama-t-elle avec déception, mais vous m'aviez dit que ce serait un petit oiseau !» «Je suis confus», répondit le photographe dont le visage était tout à coup devenu rouge de gêne. «Je ne comprends pas ce qui a pu se passer. Faisons une autre photo ; cette fois, tout devrait bien aller.» Il empoigna de nouveau sa petite poire, s'enfouit une seconde fois la tête sous son drap noir et dit : «Attention ! Le petit oiseau va sortir !» Encore un éclair. (à suivre...)