Elle s?appelait Ma Aïcha, c?était une veille femme qui vivait dans une chaumière à la lisière de la forêt. La pluie et le vent s?étaient unis pour recouvrir le toit de sa maisonnette d?une épaisse couche de terre Aussi les premières pluies du printemps y faisaient-elles pousser des légumes et des baies à profusion. Ma Aïcha avait, derrière sa maisonnette, un jardin où poussaient des épis de blé, d?orge et même du maïs, sans que l?on ne sache d?ailleurs jamais quelle main mystérieuse les semait ! Chaque matin, de bonne heure, Ma Aïcha allait cueillir dans son jardin quelques gerbes de blé doré. Elle gardait pour elle les grains et donnait à Chevrette le reste. Pendant que cette dernière dévorait les tiges de blé ou d?orge, Ma Aïcha soulageait les mamelles lourdes de la petite chèvre d?un lait épais et crémeux. Elle en remplissait toute une cruche qu?elle couvrait d?un petit tissu blanc. Il arrivait aussi que Ma Aïcha préparât, avec les graines amassées, des galettes pour accompagner ses repas ou encore des petits gâteaux de semoule qu'elle sucrait de miel et de fruits. Après avoir déjeuné de lait et de galette, elle prenait sa corbeille et sa petite échelle et allait chercher ses légumes sur la toiture de sa maisonnette : elle cueillait délicatement une pomme de terre bien ronde, un oignon luisant, une tomate toute rouge... Elle prenait soin de bien les secouer de la terre qui s?y attachait. «La terre est si précieuse mes enfants !». Ensuite elle cueillait, sur le bord de la fenêtre, où ils poussaient dans un pot de terre, un brin de cerfeuil, un de persil et un autre de menthe. D?un pas léger, elle rentrait son butin à la cuisine. Invariablement les légumes et le cerfeuil lui servaient à préparer un djéri pour le soir. Le reste des grains était moulu et roulé soigneusement pour être roulé en un délicieux couscous accommodé de légumes. Quant au brin de menthe il s?ajoutait à son thé ou à sa tisane du soir. Lorsque la marmite commençait à chanter et à faire danser son couvercle, Ma Aïcha emmenait Chevrette dans la forêt. Elle n?oubliait jamais sa petite corbeille, elle n?avait qu?à la tendre et des oranges sauvages et parfumées y tombaient. En été, c?étaient de lourdes grappes de raisin gorgées de soleil qui se laissaient choir à son passage. Pour ne pas blesser les grains de raisin ainsi que les figues fleurs. Ma Aïcha tendait non pas son panier, mais son vieux tablier, les figues fleurs ? C?étaient les premières figues, pleines à craquer d?un sirop odorant qui vous remplissait la bouche dès que vous y mordiez. En hiver, la forêt accueillait la bonne grand-mère avec une pluie de marrons, de châtaignes ou de noisettes friponnes. Que dire des pommes rouges qui roulaient sous ses pieds et s?offraient à elle et à chevrette toute l?année ! le dessert plein le panier, Ma Aïcha regagnait sa chaumière. Chevrette, qui l?accompagnait, s?était régalée au passage de fruits que sa maîtresse laissait à son intention à terre. A leur retour, la marmite dans l?âtre non seulement continuait à chanter, mais une odeur appétissante de potage embaumait la maison. L?après-midi, après avoir mangé et fait un petit somme, Ma Aïcha retournait dans la forêt. Les arbres, à son arrivée, laissaient tomber des branchettes et se délestaient de leurs bois morts. Pour se réchauffer, la petite vieille les amassait en fagot. Ma Aïcha n?avait jamais arraché un fruit ni cassé une branche à un arbre ! «Pour commander à la nature, les enfants, il faut lui obéir !». Le soir, pour remercier sa maîtresse, chevrette lui offrait une autre cruche pleine de lait mousseux : Ma Aïcha l?utilisait souvent pour confectionner, avec amour, un fromage qui parfumait longtemps la cuisine. Elle en versait copieusement aussi dans l?écuelle de Minette, la petite chatte, qui ronronnait toute la journée devant la cheminée. Dans l?âtre, le bois mort reprenait vie : il craquait, étincelait et donnait beaucoup de chaleur à la maisonnette. Avant que la nuit ne referme ses grandes ailes, les oiseaux de la forêt venaient sur la croisée de la fenêtre pour picorer, une dernière fois, les miettes de galette que Ma Aïcha semait à leur intention. Mais avant de reprendre leur envol, oiseaux et oisillons chantaient à l?unisson, gonflant leurs petites plumes et agitant leur queue jolie. Cette sérénade durait jusqu?aux dernières lueurs du jour. (à suivre...)