Il était une fois trois jeunes filles, belles toutes les trois comme le jour, mais aucune d'elles n'était mariée, parce qu'elles voulaient toutes épouser le roi. Un jour qu'elles étaient à parler de cela ensemble, l'une d'elles dit : — Si le roi m'épouse, d'un seul grain de blé je lui ferai des crêpes. L'autre dit : — Si le roi m'épouse, d'une toison je lui tisserai un beau manteau. La troisième ne disait rien. — Et toi ? dirent-elles. — Moi, si le roi m'épouse, je lui donnerai un garçon et une fille, tous les deux au front d'or. Or elles étaient près du palais et, pendant qu'elles parlaient, le roi, qui se promenait dans ses jardins tout brillants de fleurs, les entendait. Il résolut donc de les prendre pour femmes toutes les trois. Les fêtes qu'il donna à son peuple à cette occasion furent splendides. Au bout de quelques jours il prit un grain de blé, le donna à celle de ses femmes qui s'était vantée d'en tirer des crêpes. — Voilà, dit-il, fais-nous des crêpes avec ça. La jeune femme y passa toute la matinée, mais, de quelque manière qu'elle s'y prît, elle ne pouvait rien tirer de son grain et, à la fin, vint avouer à son époux son impuissance. Le roi prit alors une toison et, la mettant entre les mains de celle qui avait promis d'en faire un manteau : — Tiens, dit-il, fais-moi un beau manteau avec cette laine. La femme se mit aussitôt à l'ouvrage. Mais, au bout de quelques jours, la toison était terminée, et il y en avait à peine pour un tout petit bout de manteau. Les deux jeunes femmes étaient d'autant plus attristées qu'elles voyaient la troisième enceinte. Mais elles se consolaient en se disant : — Elle non plus n'y pourra rien. Comment pourra-t-elle mettre au monde deux enfants au front d'or ? Or, quelques mois plus tard, leur compagne accoucha. Les deux jeunes femmes se rendirent auprès d'elle et virent deux superbes bébés, un garçon et une fille, avec de belles chevelures blondes, si blondes que leurs fronts à tous deux paraissaient d'or. Elles en furent aussitôt très jalouses et commencèrent à chercher un moyen de nuire à la jeune mère. Elles allèrent trouver la sage-femme et lui dirent : — Tu vas prendre les deux bébés, tu les mettras dans un coffre et tu iras les jeter dans la mer. A la place tu mettras deux chiots. Si tu fais ce que nous te demandons, nous te couvrirons d'or pour ton service. La sage-femme d'abord refusa, mais tantôt la menaçant et tantôt lui faisant des promesses mirifiques, elles finirent par la convaincre. Le roi fut très heureux d'apprendre que sa femme avait accouché. Quand il demanda si c'était une fille ou un garçon, la sage-femme feignit d'être très troublée. — Eh bien, parle ! dit le roi. — Sire, dit-elle, regardez vous-même. Le roi se pencha sur le berceau et recula, horrifié. — Tu avais promis des enfants au front d'or, dit-il. Puisque c'est ainsi, tu subiras le châtiment de tes mensonges. Il se tourna vers ses serviteurs — Qu'on la jette dans une prison sans fenêtre et qu'elle n'en sorte plus jamais ! Pour nourriture vous lui porterez un pain sec chaque jour. Pendant ce temps le coffre, où étaient les deux enfants, balançait sur les vagues, au gré des courants et des vents. Or il y avait dans la ville un ménage de vieux pêcheurs, qui vivaient des poissons qu'ils ramenaient chaque jour. Ils étaient seuls. Ils avaient d'abord longtemps espéré avoir des enfants, mais depuis des années ils étaient résignés à n'en pas avoir. (à suivre...)