Le jeune Robert court de toutes ses forces sur le chemin enneigé. Il est grand et fort pour son âge, mais il a juste douze ans et la distance est longue de Dinan à Cancale. Pourtant, pas question de s'arrêter ni même de ralentir, sinon il risquerait d'être pris. A présent, le vent s'est levé et la neige s'est remise à tomber. De violentes rafales assaillent l'enfant. En continuant ainsi, il sait qu'il risque sa vie. Ce n'est pas cela qui peut lui faire peur. Robert n'a jamais eu peur de rien ! Si loin qu'il remonte dans sa brève existence, il n'a que des souvenirs de combats. A six ans, il commandait une bande de gamins de Cancale, qui se battaient dans les forêts ou sur les plages, et il avait toujours le dessus. Il n'a pas tardé à hériter d'un surnom auprès de ses camarades : «Du Guesclin». Et c'est vrai que, voici plus de quatre siècles, le futur connétable de France avait commencé sa carrière exactement de la même manière, en se battant avec les garnements de son âge. Bien sûr, le petit Robert était flatté de cette comparaison, d'autant plus naturelle que ses parents habitaient précisément l'ancien domaine de la famille Du Guesclin. Mais ce dernier n'était vraiment pas son modèle. C'était un chef d'armée, il s'était battu sur terre. Lui, Robert, ce qui l'attirait, c'était la mer ! C'était à bord d'un bateau qu'il voulait livrer ses batailles et remporter ses victoires. Oui, il serait marin et, plus précisément, corsaire, comme le plus illustre de ses ancêtres, Duguay-Trouin. Malgré les éléments qui continuent à se déchaîner, l'enfant a un sourire. Bien sûr, ses parents, sa mère en particulier, ont tout fait pour le corriger. Un jour, pour l'empêcher de rejoindre sa bande, elle l'a obligé à s'habiller avec un habit ridicule, fait de pièces de toutes les couleurs, pensant qu'il aurait trop honte pour se montrer. Sur ce point, elle a eu raison : il n'a pas osé retrouver les autres. Mais il a imaginé autre chose. Il s'est rendu au sommet d'une colline couverte de buissons épineux et s'est laissé rouler jusqu'en bas. Quand il est rentré à la maison, son costume de carnaval était en lambeaux et lui-même en sang. Sa mère n'a plus recommencé. Tout cela se passait il y a six mois. Voyant qu'il était décidément indomptable, ses parents ont employé les grands moyens : ils l'ont envoyé chez les pères, à Dinan, dans un établissement réputé pour sa sévérité. Encore une fois, c'était bien mal le connaître. Son premier souci a été d'organiser des batailles rangées entre les élèves. A la tête de ceux de sa classe, il a été faire le coup de poing contre les autres, même les grands. Et il a gagné. Après avoir multiplié les punitions, le père supérieur s'est décidé à sévir lui-même. Tout à l'heure, à la récréation, dans la cour enneigée, il lui a demandé de baisser son pantalon pour lui donner le fouet devant tous ses camarades réunis. C'était plus que Robert n'en pouvait supporter. Il s'est débattu de toutes ses forces et, pour finir, il a mordu le religieux à la fesse. Après quoi, profitant de la confusion générale, il s'est enfui. Il fuit toujours et il s'est juré qu'on ne le rattraperait pas. Malgré toute sa résistance, tout son courage, il est obligé de ralentir. Il se rend bien compte qu'il ne sera pas à Cancale avant la nuit. Pour la première fois, il se sent vraiment en danger. Il comprend qu'il risque de mourir et il ne le veut pas sans revoir la mer. Quittant la route, il oblique à travers la forêt. Au prix d'un effort épuisant, progressant comme il peut dans la neige qui lui arrive aux genoux, il parvient sur la plage. Il y a là une petite dune qui protège à peu près du vent. Il s'y allonge, face aux flots blanchis de neige et d'écume. Le grondement régulier des vagues le berce. Il ferme les yeux. Il se laisse gagner par l'engourdissement dû au froid et à la fatigue. Il s'endort... (à suivre...)