Mekki Messahel : Quelle synthèse faites-vous du 5e Forum mondial de l'eau auquel vous avez participé ? l InfoSoir : Les choses ont évolué au Forum d'Istanbul qui a impliqué tous les acteurs mondiaux en relation avec l'eau. Il y a eu le regroupement de 250 parlementaires, 120 élus et de nombreux experts. Il faut rappeler que le Conseil mondial de l'eau en tant que regroupement international d'experts, est une plate-forme de réflexions sur la question de l'eau au niveau mondial et dont l'un des rôles est de pousser les politiques à agir au profit de la question de l'eau. Dans l'évolution des messages du Conseil mondial de l'eau, les choses avancent concernant le droit à l'eau. Le pacte d'Istanbul des 120 maires et municipalités qui avaient participé au Forum est arrivé à des décisions concrètes sur la base de l'action locale. Il y a eu également le forum des jeunes et le 3e forum des enfants qui a permis de mettre l'acteur «enfant» en évidence et qui a été couronné par une déclaration politique des enfants sur le droit à l'eau, la revendication d'une eau propre, etc. Il y a eu la participation d'enfants venus de 25 pays dont une délégation algérienne de 7 enfants d'une école de Blida qui ont bien représenté leur pays. Ils ont donné leur avis sur la question de l'eau, ont parlé de l'alimentation en eau potable et de l'assainissement du grand Blida et ont brandi le slogan écrit en arabe «Le droit à l'eau». C'est la 1re fois que l'Algérie participe avec des enfants. Nous souhaitons que l'Etat encourage davantage ce genre d'initiative car c'est une activité non gouvernementale où nos enfants ont montré le visage de l'Algérie et ont présenté l'exemple de Blida en matière d'approvisionnement en eau et la politique de l'Etat en ce sens. A signaler également la projection d'un film réalisé par le ministère des Ressources en eau, relatant les grandes infrastructures réalisées, en cours de réalisation ou en perspective de réalisation en Algérie entre 2006 et 2009. Qu'en est-il de l'avenir des ressources en eau ? l Nous aurons toujours le même volume d'eau d'ici à 2025 ou 2030. C'est la nature. Mais pas avec la même qualité à cause des industries, de l'urbanisation, de la démographie... Nous avons des réserves hydriques très importantes en Algérie. Le ministère a commencé à exploiter les ressources du Sud à travers le fameux projet In Salah-Tamanrasset et la nappe phréatique du Sud où l'eau est exploitée conjointement avec la Libye et la Tunisie (suite à un accord d'exploitation rationnelle des eaux pour en laisser aux générations futures). L'Etat prévoit aussi une stratégie jusqu'à 2050 pour combler un déficit qui serait dû, selon les études, aux changements climatiques. Cette stratégie inclut, entre autres, le dessalement de l'eau de mer et le traitement et la réutilisation des eaux usées (pour l'agriculture). Comment évaluez-vous justement cette stratégie ? l La stratégie en elle-même est très bonne, de l'avis même du président du Conseil mondial de l'eau qui a affirmé que l'Algérie a fait un bon choix. Mais la mise en œuvre de cette stratégie reste théorique : il faudrait les ressources humaines nationales, qui existent certes, mais qui doivent être exploitées et mises en valeur. Elles ont été formées par les universités et les fonds algériens mais activent avec les étrangers pour nous vendre leur savoir-faire. Quels seront les enjeux de l'Algérie dans le secteur de l'eau ? l Le thème qui se pose au niveau du Conseil mondial de l'eau actuellement, concerne les nappes transfrontalières, raison pour laquelle on pousse les politiques à avoir des programmes. Pour l'Algérie, toutes nos ressources se trouvent à l'intérieur du pays et ce problème ne se pose pas chez nous, même avec l'exploitation actuelle de la nappe gérée avec la Libye et la Tunisie sur la base d'un accord. Il n'y a donc aucun enjeu vis-à-vis d'autres pays comme c'est le cas pour la Palestine et Israël où l'eau est source de conflit. Je voudrais rappeler que la délégation des 6 enfants palestiniens de Gaza qui devait participer au Forum des enfants en marge du Forum mondial de l'eau en Turquie, a vu la participation d'un seul enfant «rescapé»' et qui voulait passer le message de son pays, mais il n'a pas eu l'occasion de le faire. Son message est passé dans les coulisses. Quel est l'impact du dessalement de l'eau de mer sur l'environnement ? l C'est une grande question qui se pose et qu'il faudrait élucider et les scientifiques s'y attellent pour définir l'ampleur de l'impact par rapport à l'environnement et la vie du citoyen. C'est une thématique prise en charge par le Conseil mondial de l'eau depuis 3 ans. Je me demande si le dessalement est une solution définitive ou complémentaire. Autrement dit, quel est l'impact réel si elle est complémentaire et quel est le vrai impact aussi si elle est définitive. Quel est votre message en tant que gouverneur du Conseil mondial de l'eau ? l L'Algérie fait beaucoup d'efforts sur la question de l'eau par rapport à d'autres pays. La volonté politique existe et se concrétise réellement. Néanmoins, il reste des choses à faire dans la mise en œuvre de la stratégie, impliquer tous les acteurs de l'eau qui existent en Algérie en commençant par les enfants, les secteurs de l'éducation et de l'environnement qui doivent être partie prenante, car le problème de l'eau n'est pas seulement le problème du ministère des Ressources en eau. Cela, pour arriver à dépasser cette crise et donner de l'eau potable aux futures générations et appliquer réellement le principe du droit à l'eau potable et à l'assainissement. Qu'en est-il du prochain Forum mondial de l'eau ? l Le 6e Forum mondial de l'eau prévu dans 3 ans (2012), se fera au mois de juin par un vote, à Madrid, lors de la tenue du Conseil des gouverneurs pour choisir entre 2 candidatures (l'Afrique du Sud et la France). Il est très important d'avoir un soutien moral en tant que gouverneur membre du Conseil mondial de l'eau, pour coordonner toute activité et arriver à représenter réellement l'Etat algérien lors des prochains forums et présenter l'état réel de la politique de l'eau chez nous qui est positive et de dire que l'Algérie est à la hauteur de ses espérances. Mais ce qu'il nous faut, c'est réfléchir avant la préparation du forum pour instituer un comité national indépendant pour que l'Algérie soit partie prenante d'une manière intégrée du Forum mondial de l'eau organisé tous les 3 ans. Cela en impliquant les universitaires et les scientifiques, en coordonnant les débats et les activités de tous… * Gouverneur du Conseil mondial de l'eau pour l'Algérie, membre de l'Académie française de l'eau.