Nasser Hannachi LA TRIBUNE : La nouvelle politique du gouvernement porte désormais sur l'amélioration du cadre de vie du citoyen, ce qui devrait interpeller designer, urbanistes, paysagistes et artistes de la culture urbaine. En tant qu'urbaniste, architecte et élue de l'APW, quelle vision ou proposition auriez-vous de ce relooking de Constantine, qui ne devra pas perdre son cachet originel ? Y a-t-il un programme en ce sens au-delà de la modernisation de la ville, qui, faudra-t-il le souligner, ne parvient toujours pas à voir le jour ? SAMIA BENABBAS : L'amélioration du cadre de vie du citoyen est une question cruciale qui interpelle tout habitant, profane, ou expert, car chacun d'entre nous est agressé d'une manière ou d'une autre dans son environnement quotidien, par les anomalies qui heurtent son visuisme, dans un cadre urbain inachevé, déstructuré, pollué, squatté souvent abusivement, ou le bien-être n'a pas droit de cité. Que le Premier ministre lance comme première approche de son programme l'amélioration du cadre de vie, il a touché du doigt, à mon avis, le syndrome le plus important qui agresse le quotidien de chaque citoyen. Donc, toute approche et toute action qui a pour objectif l'amélioration du cadre urbain et du cadre de vie, a un impact positif certain sur le confort du citoyen et sur la création d'un bien-être longuement recherché par chacun d'entre nous. Constantine, en tant que ville exceptionnelle par son cadre physique unique, en tant que ville millénaire, ville région, ville métropole, est cosmopolite certes, mais victime de transpositions de modèles culturels différents où le rural a eu un impact très négatif sur sa reconfiguration morphologique. En un mot elle constitue un modèle de ruralisation certaine, où ses valeurs ancestrales se sont ternies. Cependant elle peut retrouver une nouvelle image, pourvu que tout le monde s'y mette, dans un acte de bonne gouvernance, avec tous les acteurs de l'urbain: habitants, société civile organisée, élus locaux, administration locale et pouvoir central dans un acte de gestion collectif et collégial, dans un cadre concerté. Or la contrainte de base, c'est qu'aucun des pouvoirs ne croit à la participation. C'est un slogan sans contenu, parce qu'il n'y a pas de vraie volonté d'ouverture envers l'autre. La deuxième contrainte de base qui heurte tout développement urbain à Constantine et dans tout le pays, c'est qu'il y a une véritable crise de compétences et de confiance, avec des conflits de prérogatives, entre la pensée, la conception, la décision et l'exécution. Constantine avec ses spécificités a une identité forte, malgré la décadence certaine de son cadre de vie, mais elle a plein d'indices qui peuvent devenir des éléments de sa remise en valeur, pourvu que de bons choix se fassent au bon moment. En marketing urbain, l'événementiel est un élément saillant pour une revalorisation et requalification urbaine. Le fait que cette ville ait été proposée pour être la «capitale de la culture arabe pour l'année 2015», est une occasion en or à saisir, pour qu'elle puisse reconquérir toutes ses valeurs perdues. Sauf qu'il ne faut pas attendre de l'événement des miracles, car Constantine a besoin d'un plan d'action cohérent en intégrant ses atouts, ses contraintes et ses potentialités. Pour que ce projet puisse atteindre les objectifs escomptés, il faut un leadership, entouré d'une équipe experte à compétences avérées, et un plan d'action multisectoriel, inscrit dans la durabilité, pour que l'événement ne devienne que le starter d'un processus de recomposition qualitative urbaine qui aura à se réaliser dans différentes étapes. Quelle place occupe ce renouveau urbain tracé par le gouvernement dans la feuille de route de l'APW ? La place de l'APW dans le processus ou l'événement est minime. Telle qu'elle est gérée actuellement, elle se retrouve dans l'expectative, sans avis, sans plan de charge et sans accompagnement. La majorité des élus non imprégnés de leur rôle, et les compétences individuelles existantes ne sont pas du tout exploitées. De mon point de vue, l'image de l'APW est une miniature du gâchis de compétences de la ressource humaine quand le politique prend le dessus sur le technique. Les consensus préfabriqués par une pluralité de gestion quand la majorité est du sort d'un parti qui n'a pas la majorité absolue, mais réagit en tant que tel, nous avons une incompatibilité entre les profils et les missions affectées aux uns et aux autres. En tant qu'élue, je reconnais que nous n'avons pas joué pleinement notre rôle, et la responsabilité est partagée, parce que nous ne nous sommes jamais mis autour d'une table pour mener un débat franc avec tous les acteurs influents pour l'intérêt général de la communauté. Parmi ces responsabilités : les fractions causées par l'institutionnel à travers un code de wilaya qui a ses limites, une pluralité non consommée, une démocratie proclamée et non appliquée, des compétences marginalisées, une participation non recherchée, un laxisme de la majorité, un conflit de rôles, et une faiblesse des élus. Dans ce climat de désarroi quel rôle attendre de l'élu ? Cela dit, la responsabilité incombe à tous les citoyens qui ont laissé la chaise vide, le libre cours à d'autres pratiques inappropriées qui ont caractérisées la participation aux élections. Avec une configuration urbanistique modifiée et dénaturée (habitations inachevées, constructions illicites,...) quelle solution adoptée pour (ré)harmoniser, même progressivement, l'ensemble ? Sur le plan urbanistique pur et dur, il y a des mesures qui peuvent être prises et porter leurs fruits, comme l'application de la loi 08/15 qui contient en son sein quelques éléments de prise en charge des aspects inachevés qui caractérisent les constructions dans notre paysage urbain. Certes, c'est une loi qui arrive à sa fin en termes de mise en place, mais elle peut constituer une excellente occasion pour établir son bilan, lui apporter des correctifs et la reprendre une fois amendée, pour qu'elle devienne plus opérationnelle, plus souple, et moins bureaucratique. L'intégration de la problématique de la ville au sein du département ministériel chargé de l'habitat constitue une autre occasion propice pour revoir la politique de la ville qui malheureusement était inexistante, elle s'est construite par à-coups, de façon débridée et fractionnée par le logement. Avec une telle réorganisation institutionnelle, l'approche de la ville sera perçue autrement, où les urbanistes auront un rôle polarisant dans sa mise en pratique. A ce titre, je me réjouis personnellement d'être l'initiatrice de l'unique formation d'urbanisme en Algérie à l'Université Mentouri de Constantine, depuis 2005, où j'avais lancé les premières licences en urbanisme académique et en urbanisme professionnel, puis deux masters et puis deux doctorats. Une fois le processus de formation lancé dans ces trois segments, j'ai habilité leurs contenus selon les standards internationaux, en les homologuant à la charte internationale de l'Association pour la promotion des études et de la recherche en aménagement et urbanisme (Aperau), par le biais du Laboratoire de recherche sur l'architecture, l'urbanisme, la technique, l'espace et la société (Lautes) que je dirige depuis 2006. Une telle formation tend à répondre aux immenses besoins des collectivités locales et diverses administrations, bureaux d'études en compétences liées à l'urbanisme et au façonnement de nos villes futures. Les nouveaux projets structurants se sont-ils fondus avec le panorama de Constantine ? Les nouveaux projets structurants constituent des éléments de revalorisation du cadre urbain de Constantine, et des projets phares qui lui apportent une plus value incontestable, reste à trancher la question du choix de la localisation de certains projets qui sont au stade de la conception, en intégrant les données suivantes: leur accessibilité, leur impact, leur influence et leur nouveau rôle dans les coutures urbaines qui en résultent. N. H.