Une faible lueur vacillante éclairait ces visages juvéniles en demi-cercle autour de la petite cheminée de cette maisonnette perdue dans les montagnes. Dehors, les éléments se déchaînaient, la fureur de la nature faisait rage, un vent glacial soufflait et de gros flocons de neige tombaient enveloppant tous les espaces. La vieille grand-mère, la tête couverte d'un foulard, le cou orné de bijoux traditionnels, le visage décoré de tatouages que le feu de l'âtre dessinait par intermittence dans cette pénombre, commençait à raconter : «C'est l'histoire de ce sultan qui, un jour,...» Les enfants émerveillés et suspendus à ses lèvres, guettaient le moindre son pour ne rien rater, pour suivre et comprendre, pour vivre l'aventure, pour découvrir de nouveaux horizons, donner libre cours à leur imagination et voyager à travers ces mots, ces phrases, ces événements qui se précipitent...Ils sont ailleurs, l'espace-temps n'a plus cours, ils sont aux côtés de ces personnages, ils sont dans une autre dimension... Et puis ces mots se sont évanouis, la conteuse a disparu avec la maisonnette et ces histoires fabuleuses fruit d'un patrimoine millénaire. Ils se sont évaporés et sont allés se tapir dans les plis de l'oubli. Le conte essentiellement oral n'est plus, conteurs sur la place publique, griots africains qui allaient de village en village raconter leurs légendes et leurs histoires ne font plus partie du «décor». Ces bibliothèques vivantes longtemps négligées et délaissées ont disparu. Les différents bouleversements de la société ont sapé les fondements de cette tradition qui était bien ancrée puisqu'ayant survécu jusqu'après l'indépendance. Mais depuis, un mode de vie étranger à nos traditions sur le plan social a été introduit. C'est l'éclatement de la famille élargie qui ne compte presque plus parmi ses membres vivant sous le même toit la grand-mère et le grand père. La télévision avec ses navets importés est devenue le personnage central dans les foyers et réunit tous les membres de la famille, elle est à l'origine du désintérêt pour «les vieilles histoires» de grand-mère qui désormais ne fait plus que des apparitions occasionnelles. Le riche patrimoine immatériel national que représente le conte a presque complètement disparu, ne subsistent que de bribes sauvées in extremis par quelques écrivains dont Taos Amrouche qui a pu en sauver quelques-uns réunis dans le Grain magique, un conte recueilli auprès de sa mère Fadhma et qu'elle avait publié en 1966. Pourtant, dans d'autres pays, le conte a pris une autre forme et conserve toujours sa place puisque le livre de contes est omniprésent avec des auteurs dont les histoires ont acquis l'universalité. Andersen, les frères Grimm, Charles Perrault ou Tolstoï bercent par leurs contes les petites têtes blondes dont l'imagination est ainsi irriguée et fertilisée. Chez nous, il en est tout autrement, les livres de contes qu'on propose aux enfants et censés leur donner le goût de la lecture et de la découverte n'ont à vrai dire aucune forme d'attache avec la culture et l'environnement dans lequel ils évoluent dans la mesure où ceux-ci relèvent de cultures étrangères, même si certains sont tirés de la littérature arabe. Cela ne sert nullement notre culture et notre identité propre; au contraire, elle représente une agression et une tentative de syncrétisme qui ne peut avoir que des conséquences préjudiciables pour un patrimoine déjà plus que malmené. M. R.