L'Ukraine a entamé hier une ère nouvelle. En se dotant d'un chef de l'Etat par intérim en remplacement de Viktor Ianoukovitch, destitué la veille et introuvable depuis, le pays se prépare à une élection présidentielle anticipée. Le président du Parlement Oleksandre Tourtchinov, un proche de l'opposante Ioulia Timochenko, a été élu à une très large majorité chef d'Etat par intérim par les députés. Le président du Parlement assume les responsabilités du chef de l'Etat en cas de vacance du pouvoir, d'après la Constitution ukrainienne. Les parlementaires se sont aussi mis d'accord pour former d'ici à demain un gouvernement d'union nationale. M. Ianoukovitch, qui avait refusé samedi de démissionner et dénoncé un «coup d'Etat», a entre-temps été lâché par son propre parti, le Parti des Régions. «L'Ukraine a été trahie, les Ukrainiens dressés les uns contre les autres», a indiqué le parti dans un communiqué. Dimanche, le centre de Kiev, métamorphosé en quasi-zone de guerre après trois mois de crise aiguë, renouait avec un semblant de normalité, avec la réouverture des magasins fermés depuis plusieurs jours. Ioulia Timochenko, l'ex-égérie de la Révolution orange tout juste sortie de prison, elle devait consacrer sa première journée de liberté à rencontrer des ambassadeurs occidentaux, avant de rendre visite à sa mère à Dniepropetrovsk (est), selon son parti Batkivchtchina (Patrie). Elle doit rencontrer «très prochainement» la chancelière allemande Angela Merkel, a-t-il annoncé un peu plus tard. Elle n'a en revanche pas encore formulé publiquement de projet politique dans la perspective de la présidentielle anticipée du 25 mai, selon une porte-parole du parti. Mme Timochenko, apparaissant affaiblie après deux ans et demi de prison et contrainte à se déplacer en fauteuil roulant, avait été acclamée samedi soir par la foule sur le Maïdan. Elle avait rendu hommage aux «héros» de l'Ukraine. «Si quelqu'un vous dit que c'est terminé et que vous pouvez rentrer chez vous, n'en croyez pas un mot, vous devez finir le travail», a-t-elle lancé devant des dizaines de milliers de personnes. Dans un paysage politique totalement chamboulé en l'espace de 24 heures, l'un des principaux responsables de l'opposition ukrainienne, le champion du monde de boxe poids lourds, Vitali Klitschko, s'est réjoui que «Ianoukovitch ait été mis KO». Une enquête a déjà été ouverte contre 30 hauts responsables de la police, pour leur rôle dans la répression. Si l'extrême tension des derniers jours est retombée, les inquiétudes concernant ce pays de 46 millions d'habitants restent très vives à l'étranger. Il apparaît en effet à la fois profondément divisé et au bord de la faillite financière. Le sujet a été abordé lors de la réunion du G20 dimanche à Sydney. «Les Etats-Unis et d'autres pays sont prêts à aider l'Ukraine dans ses efforts de retour à la démocratie, à la stabilité et la croissance», a déclaré le secrétaire américain au Trésor, Jack Lew, qui a espéré la formation d'un «gouvernement multipartite et technocrate, désireux de mener les réformes économiques nécessaires». La communauté internationale a en outre clairement fait part de ses craintes que la crise n'ait encore creusé le fossé entre l'Est russophone et russophile, majoritaire, et l'Ouest nationaliste et ukrainophone. La représentante de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, a appelé les responsables politiques ukrainiens à agir «de manière responsable» pour maintenir l' «unité» du pays. La Russie a dénoncé samedi «les extrémistes armés et les pillards dont les actes constituent une menace directe (pesant) sur la souveraineté de l'Ukraine», tandis qu'à Kharkiv (est), des responsables locaux des régions pro-russes de l'est ont remis en cause samedi la «légitimité» du Parlement ukrainien, qui travaillerait actuellement «sous la menace des armes». M. N./Agences