L'artiste plasticien Mustapha Sedjal, originaire d'Oran, installé en région parisienne, convie le grand public à assister au vernissage de sa nouvelle exposition intitulée «The system needs an update» (Le système a besoin d'une mise à jour), qui se déroulera le 15 mars prochain à la galerie d'art contemporain Karlma Celestin à Marseille. Il est à noter que l'exposition se prolongera jusqu'au 3 mai prochain. Le ton de cette exposition est d'emblée donné avec une citation : «Chaque fois qu'un homme a fait triompher la dignité de l'esprit, chaque fois qu'un homme a dit non à une tentative d'asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte», écrit Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs (1952). Ainsi, dans le texte de présentation intitulé Plongée Fanonienne, Caroline Hancok souligne la problématique de cette exposition : «La feuille de papier. La page blanche. Vide ? Voilà le sujet et l'objet de cette nouvelle exposition de l'artiste Mustapha Sedjal. S'agit-il d'en disposer ou de la remplir ?» Dès lors «le percement remplace le trait, et le froissement informe, prédomine sur toute représentation». À travers «The system needs an update», Mustapha Sedjal explore de nouveaux territoires de l'imaginaire plastique où «des supports en papier sont poinçonnés minutieusement à l'aiguille pour créer diverses séries de dessins en fragments. Le relief est perceptible sur la surface. Comme des piercings ou des scarifications, une peau est marquée. Des mains sont expressives mais muettes comme frappées de l'amnésie potentielle qui hante Sedjal». Comme le précise Caroline Hancok, l'essence même de la créativité chez Mustapha Sedjal est «la question de la mémoire et de l'histoire, et des dangers de leur effacement, ont toujours été au cœur de son labeur d'artiste. Le suivi des pointillés et le colmatage d'une absence peuvent-ils conduire à la suture? Ailleurs, une odalisque partage une page avec un tirailleur sénégalais dans un amalgame de clichés inspirés de Peau Noire, Masques Blancs (1952) de Frantz Fanon» En fait, le système a besoin d'une mise à jour. The System Needs An Update : ce passage par la langue anglaise dans le titre de l'exposition apparaît comme une possible tactique pour se distancier du poids de l'histoire coloniale de son pays d'origine, l'Algérie. Kateb Yacine décrivait la langue française comme le «butin de guerre» des Algériens. Sedjal se saisit de cette complexité et en souligne les traces.Dans la nouvelle vidéo. «A dessein...!», les plans alternent entre une pile de papiers, le froissement même, la consultation attentionnée d'un cahier qui est vide et sa fermeture abrupte. Le son capte le travail, la cadence, la détermination, le bruit du papier manipulé. Sedjal parle d'une feuille de route et de déroute. La volonté est mise à l'épreuve d'une abstraction en continu. Quand pourra-t-on s'émanciper de la pensée unique quelle qu'elle soit ? Pour sa part Saadi-Leray Farid, sociologue de l'art souligne que : «Les années soixante virent se dessiner en Algérie un processus d'appartenance, un mouvement d'identification et de symbolisation débouchant dans le domaine des arts plastiques sur une démarche d'appropriation qui face à la massification des images de la culture impérialiste et de l'idéologie occidentale dominante privilégiait le protectionnisme, voire un repli sur des fondements doctrinaux, sinon dogmatiques.» Ainsi, les avant-corps du «socialisme-spécifique» et d'une culture de résistance affiliée à la «plongée fanonienne» en oubliaient par là même de déconstruire la mythologie naïve de la réception d'une peinture abstraite censée être d'emblée appréhendée par les Citoyens de Beauté, cela d'une part au nom d'une éthique de communauté, et d'autre part en vertu d'un partage des sentiments, d'une osmose des émotions inhérente à la perspective kantienne. L'approche ouverte depuis octobre 2012 par Mustapha Sedjal est justement «de mettre à mal les utopies ou illusions de la société algérienne, d'amorcer un retour sur son Histoire pour décloisonner les postulats du «renouveau dans l'authenticité» et tracer la pluralité des origines, donc d'autres règles du «Je». Il est aussi rappelé dans la présentation de cette exposition qu' «après s'être délesté de la rhétorique persuasive concentrée autour du ‘'Peuple-Héros'', de la pesanteur des regards et images panthéistes prétendant donner une vision globale et infalsifiable du réel, le voilà en train de croiser les cheminements individuels des icônes militantes et d'entrelacer les parcours de récits intimistes». Dès lors, pour Mustapha Sedjal, avec la mise à jour du système, il ne «s'agit pas de présentifier un moi perdu, déstructuré et disposé à se fondre dans la totalité, mais de positionner des densités d'existence sur l'itinéraire transversal des singularités». S. B.