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Malouf et artisanat défient les temps modernes
Difficile conservation des traditions constantinoises
Publié dans La Tribune le 19 - 03 - 2014


Nasser Hannachi
Aujourd'hui, les pouvoirs publics, notamment le secteur du tourisme, sont conscients d'une réalité économique qui rapporte gros à tous les pays l'ayant prise en considération : la sauvegarde du patrimoine culturel et son exploitation pour faire d'un pays une destination touristique mondiale. A ce titre, Constantine et sa région détiennent une richesse inestimable, mais qui est encore et toujours en quête d'une véritable valorisation, voire, pour certains patrimoines, de réhabilitation et de protection. Mais d'aucuns estiment que l'implication des associations et l'intérêt des responsables du secteur culturel porté à ce créneau doivent être conjugués pour que Constantine puisse étaler ce qui fait d'elle une cité millénaire ayant toujours eu sa place dans l'histoire du pays et de toute la région même.
Dinanderie, musique malouf, artisanat, tenues vestimentaires, art culinaire traditionnel et, à l'évidence, ces ponts suspendus véritables chefs-d'œuvre architecturaux, qui s'illuminent occasionnellement pour y plonger les mélancoliques étrangers visitant la ville, sont autant de points d'ancrages liant Constantine à son histoire et à sa culture. C'est une carte postale impressionnante. Malheureusement, certains de ces liens s'effilochent, même si certains s'efforcent de les renforcer pour garder ces attaches avec ce patrimoine qui fait l'identité de la ville et de ses habitants. Il en est ainsi de la médina, Souika, qui, certes, bénéficie d'un projet de restauration et réhabilitation, mais, pour l'heure, aucun traitement de fond n'a été engagé pour reconstituer la médina et son patrimoine impressionnant en les intégrant dans la vie, en termes socioéconomiques, constantinoise. Et ce sont des urbanistes et des universitaires qui l'affirment : «Constantine perd au fur et à mesure son essence ancestrale au point où la confusion déracine en douceur ses diverses composantes identitaires.»
Après la dénaturation de quelques traditions en raison des invasions «modernes» touchant au cuivre, à l'habit et même au volet culinaire et musical à travers de nouvelles tendances, la cité millénaire se bat contre vents et marées pour la préservation de son aura musicale, principalement la musique malouf. Pour ce faire, diverses associations ont investi la scène locale pour garantir la sauvegarde de ce que les chouyoukh ont transmis depuis des siècles. On s'efforce de préserver la grande œuvre de Zyriab, ou du moins quelques facettes. On perpétue la tradition telle que consignée dans les premières toiles et dans les fondouks de la vieille ville. Une dizaine d'associations activent et forment de jeunes adeptes dans ce style musical. «Si ce n'était l'action de ces troupes, qui jouent un rôle très important, le malouf aurait été affaibli et dominé par cette tendance à revisiter puisée dans la modernité outrancière qui casserait ses motifsdebases», souligne le président de l'association El Inchirah, qui est plus qu'une troupe de spectacle dès lors que son objectif depuis des années est de garantir une relève formée sur des bases classiques et traditionnelles. «On
n'a pas dérogé à notre règle d'apprentissage. Elle permet à l'élève d'acquérir les rudiments essentiels de cette musique», nous dira le professeur.
A chaque école sa propre méthode de formation pour faire progresser, «l'essentiel étant d'assurer une bonne pérennité pour ce patrimoine musical constantinois et algérien», renchérit un autre enseignant au conservatoire. Dans ce volet, la ville peut s'enorgueillir de sa composante musicale. L'ouverture d'une école de musique andalouse à Constantine dans moins d'une année, dans le cadre de la manifestation universelle de 2015, apportera assurément un autre souffle, une autre dimension, en clair une autre contribution à la préservation de cet art musical, puisque l'école sera forcément dotée d'une méthodologie pédagogique et des équipements nécessaires qui permettront la formation et la préservation de cet acquis andalou.
La dinanderie résiste
Connue pour son patrimoine artisanal, notamment la dinanderie, la ville des ponts s'en remet pour sa préservation à la Chambre des arts et métiers (CAM), qui, à travers plusieurs actions et des programmes, tente vaille que vaille de faire perdurer ce crissement du burin sur la feuille de cuivre afin de ne pas perdre cette richesse ancestrale qui occupe une bonne place dans la vitrine culturelle du Constantinois, et ce depuis des lustres. La remise d'un plateau de cuivre ciselé, une aiguière ou un quelconque ustensile usuel d'antan comme cadeau de bienvenue pour un hôte de la ville est une image connue et habituelle. Le site de prédilection des dinandiers, «Bardo», n'est plus ce centre de
l'artisanat depuis que l'anarchie y a élu domicile. Les véritables artisans ont du mal à demeurer fidèles à leurs métiers face à la concurrence plus que déloyale des produits manufacturés importés et vendus pour une bouchée de pain,
d'autant plus que les services communaux s'en lavent les mains. Et on attend toujours la reconstruction d'une cité de l'artisan digne de ce nom. Heureusement, «chaque année, une promotion sort de la Chambre des arts et bénéficie un tant soit peu des encouragements des responsables du secteur pour pérenniser ces métiers artisanaux qui ont été transmis depuis des générations», soutient-on auprès de la CAM de Constantine. Pâtisseries et habits traditionnels ont également leur place dans ce programme de formation aux anciens métiers. Mais en dépit de ces efforts consentis pour prémunir la cité millénaire des effets négatifs du développement et du progrès, où l'altération des us et coutumes fait peser un risque réel sur l'identité de la médina, celle-ci demeure loin de cette image d'Epinal qui a fait sa renommée et a contribuer à l'inscription de son nom dans l'histoire. On ne s'attardera pas sur la volonté de certains nostalgiques qui voudraient faire table rase de toute nouveauté, mais on ne peut aussi tourner carrément le dos à ce qui nous identifie. Des autochtones attirent l'attention des responsables, des hommes de culture et des intellectuels, à chaque fois que l'occasion leur est donnée, sur le risque de déperdition qui menace le patrimoine de la ville. Ils préconisent des mesures concrètes de sauvegarde. Mais force est de constater que la feuille de route officielle locale, qu'elle soit l'œuvre du secteur de la culture, du tourisme ou de certains offices, verse souvent dans le superficiel alors que le défi est
d'inscrire la préservation du patrimoine culturel matériel et immatériel dans une dimension mondiale, car aujourd'hui le monde est devenu plat. Les frontières sont abattues et rien ne peut arrêter l'invasion culturelle, sauf la
préservation du patrimoine. Or, jusqu'à preuve du contraire, aucun plan concret allant dans ce sens n'émane de ces organismes. Des esquisses, quelques actions superficielles, mais les produits des cultures d'outre-mer et d'Orient prennent le pas. Pour l'artisanat, à titre d'exemple, un musée était programmé il y a plus de deux années. Rien n'a été fait jusque-là. Il aura fallu l'avènement de la méga manifestation «Constantine, capitale de la culture arabe 2015» pour voir ressurgir l'idée, avec promesse de dégager une assiette foncière pour sa concrétisation. Dinanderie, malouf et habits traditionnels continueront assurément de cohabiter sur cette belle carte postale, usée par le temps,
mais ont risqué de s'effacer n'était l'implication et l'action d'associations soucieuses de préserver ces legs.
N. H.


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