De notre correspondant à Constantine, Nasser Hannachi
Constantine cumule tant d'acquis ancestraux, mais à force de leur tourner le dos, ils finiraient progressivement par disparaître. Gastronomie, habits traditionnels, musique… chaque volet a sa propre identité qui se rattache à l'histoire millénaire de la ville aux ponts. Celui parmi les visiteurs qui évoque la ville du vieux rocher verra défiler dans son esprit instinctivement ces images de ponts suspendus, uniques en Algérie. Mais Constantine portent d'autres héritages, malouf, Aïssaoua, plats traditionnels, habits ancestraux, dinanderie, littérature sont, entre autres, les principales expressions culturelles, propres à la cité millénaire. Un patrimoine ancestral qui se démène pour sa survie en raison de la déliquescence occasionnée par le peu d'intérêt que lui voue aussi bien les responsables que la population.Pourtant, les pouvoirs publics, notamment les secteurs et de la culture et du tourisme mettent les bouchées doubles, financièrement, pour entretenir l'image originelle, propre à chaque contrée algérienne. Mais la concrétisation suit timidement et varie d'un volet à un autre. Ainsi, la conservation de ces legs s'opère au gré des institutions publiques ou des initiatives privées. Et le plus souvent c'est une prise de conscience qui se réveille à la demande d'une conjoncture précise. Le dévouement spontané pour sauvegarder les pièces du puzzle se manifeste rarement. C'est une réalité tangible et flagrante. Certains acteurs s'engagent par nécessité ou par calcul afin de s'accrocher aux opportunités qu'offrent ces trésors patrimoniaux. Mais Constantine a perdu beaucoup de son aura. Que sont devenues les odeurs d'antan ? Une question qui étonne, surtout qu'elle véhicule un rien de nostalgie et dont la réponse est loin d'être positive. Pourtant, il est simple d'amorcer des initiatives à moindre frais. «A la limite, il suffirai de ne pas détériorer ce qui reste… C'est déjà une forme de préservation», estime un citoyen. A titre d'exemple, la gastronomie locale est sujette à des déperditions avec cette nouvelle vague de plats et cuisines industriels, soutiennent des observateurs. Il est des traditions qui s'effritent au fur et à mesure de l'apparition de nouvelles vagues de consommateurs très «in» qui effacent tout ce qui sent le passé. Les choses qui ont des milliers d'années au cadran sont bonnes pour le musée, même s'ils racontent un bout des 2 500 ans d'histoire de cette cité. «Les mets traditionnels que l'on connaissait à Constantine perdent peu à peu de leur saveur avec ces nouvelles variantes exposées dans des magazines…», dira un citoyen qui a vécu «l'âge d'or» de sa ville. Cet effacement touche également les habits, mais à un degré moindre. Car, «la fameuse robe constantinoise (gandoura brodée) reste un prototype représentatif, même s'il est cher», ajoutera-t-il. Mais, hormis cette gandoura, il reste peu de l'habillement traditionnel des femmes et des hommes constantinois. Le malouf, cet acquis cher qui résiste Sans grand regret, un artiste estime que les temps ont changé et que les conversions socioéconomiques contraignent les puristes à s'y plier. Certes, la ville tente sa survie matérielle et immatérielle grâce à quelques bonnes volontés. Néanmoins, une hirondelle ne fait pas le printemps. En revanche, les actions les plus percutantes sur le terrain restent liées à la pratique musicale. Constantine continue de pérenniser sa nouba et refléter l'Andalousie. Le malouf demeure l'acquis cher pour la majorité des citoyens locaux. Une œuvre assurée notamment par le relais des multiples associations actives sur le terrain. Ce sont Maqam, El Inchirah et, notamment l'orchestre symphonique régional qui puise dans le cru pour maintenir le point d'orgue. Ces assocations se partagent les différentes scènes à l'échelle nationale et internationale. «En matière de musique classique, constantinoise, la relève est quasiment assurée. Pour s'en convaincre, il faut mettre en relief les multiples formations musicales.» se félicite un professeur invitant cependant cette pléiade à se conformer aux exigences de ce style et de recourir aux compétences indéfectibles des maestros locaux. «Si l'on veut faire du malouf une musique retentissante au-delà des frontières et qu'elle soit démunie de rides, il importe de mettre tous les instrumentistes, vocalistes et arrangeurs sur une longueur d'onde uniforme, répondant aux rudiments de cette romance lointaine», expose notre même interlocuteur. Malheureusement, poursuivra-t-il, il est des «fantaisies» qui enfreignent certaines authenticités en matière d'interprétation et cela aura été évoqué lors de la dernière édition du festival national du malouf de Constantine, lorsque certains conférenciers sont montés au créneau pour interpeller les associations et encadreurs afin d'injecter une organisation pédagogique et rigoureuse pour préserver cette musique contre toute déformation que pourrait subir un patrimoine immatériel. Mais quoi qu'on en dise, le malouf est bien bercé dans son fief et résiste devant les autres genres et styles musicaux qui se sont invités ces dernières années à Constantine. L'Andalousie locale maintient son attrait et garde son étoile.