Nasser Hannachi Défier le temps qui passe en gardant à Constantine son cachet authentique, tout en lui permettant de se développer et d'intégrait la modernité imposée par le présent et l'avenir. C'est là un défi pour la ville, comme pour toutes les autres villes du pays, qui implique un combat de tous les jours et sur plusieurs fronts, auquel doivent contribuer la société civile et les associations. Millénaire, la cité garde une partie de son patrimoine architectural et se démène pour le conforter en préservant son pendant culinaire, musical, vestimentaire et immatériel. L'organisation, dernièrement, d'un défilé dédié à la m'laya, ce voile noir que mettaient jadis les Constantinoises, portée par une vingtaine de filles défilant dans la Maison de la culture Mohamed-Al Aïd-El-Khalifa au cœur de la ville, aura replongé en l'espace de quelques minutes la ville dans un passé récent, mais que de nombreux jeunes ne connaissent que par ouï-dire. Cette présentation d'un pan de la tradition vestimentaire de la ville n'est pas l'initiative d'un musée, d'une institution culturelle ou d'une administration mais celle d'une citoyenne, une étudiante, qui a pris exemple sur l'organisation sur la place publique d'un défilé de femmes habillées du hayek à Alger. La jeune étudiante a lancé son idée sur les réseaux sociaux qui ont été le vecteur et le promoteur de la manifestation. Mais pour préparer cette présentation de la m'laya, il a fallu puiser dans les armoires de grands-mères pour dénicher ce large pan noir qui, comme le hayek à Alger et à Oran, a disparu des effets vestimentaires des femmes Constantinoises depuis fort longtemps. Ce vêtement qui identifiait la femme constantinoise a disparu du paysage, si on excepte les quelques femmes qu'on peut compter sur les doigts des mains qui restent attachées au port de ce voile noir qui, à l'origine, aurait été porté en signe de deuil à la mort de Salah Bey. L'histoire est à vérifier et authentifier. Une attention particulière a été ainsi illustrée par ces demoiselles qui ont remis un habit traditionnel sur le devant de la scène qui est désormais investie et envahie par la new-wave, le fashion, le dernier cri ou tout simplement le vêtement de l'époque que les femmes comme les hommes, à Constantine comme partout ailleurs, ont adopté, en rangeant toutes ces vieilleries que personne, si ce n'est nos grands-mères, ne met plus. Peu importe la durée de la parade. Mais durant ce laps de temps, la mémoire s'était réveillée et les gens qui ont assisté au défilé de ces silhouettes graciles, n'ont pas manqué de saluer cette initiative qui a ressuscité un fragment de l'histoire vestimentaire. Mais ce n'est qu'une fraction de la mémoire qui a été mise sous les feux des projecteurs. Car, la région englobe un héritage architectural et patrimonial bien plus important et diversifié dont seuls quelques témoins continuent à s'accrocher malgré les mutations tous azimuts auxquelles est confrontée la société qui, malheureusement, ne voit pas toujours l'importance de préserver ce patrimoine auquel elle tourne le dos, parce qu'elle n'en connaît pas la valeur civilisationnelle et personne n'a rien fait pour qu'elle le connaisse. Artisanat, malouf, habits traditionnels, patrimoine culinaire et cachet architectural exceptionnel caractérisent et valorisent la cité millénaire, qui ne le leur rend pas toujours. L'artisanat se maintient grâce à ces Chambres des arts et des métiers qui initient à diverses spécialités du terroir, dinanderie, broderie, pâtisserie,... pour résister au travail manufacturier et à cette modernité écrasante. Le malouf résiste grâce aux associations locales, seules locomotives de la préservation qui font barrage à l'invasion de nouvelles tonalités qui pourraient dénaturer la musique originelle et la couper de ses racines. Mais l'esquisse globale de la ville, cette autre identité de Cirta, s'altère progressivement, la médina étant l'image expressive de cette dégradation. A quelques mois de l'ouverture de la méga manifestation culturelle «Constantine, capitale de la culture arabe 2015», les vestiges architecturaux et autres témoins de l'histoire urbaine de Constantine peinent à recouvrer leur attrait originel, et les us tentent vaille que vaille de se pérenniser face au rouleau compresseur de la modernité. Plusieurs associations culturelles activent à Constantine. Mais elles convergent le plus souvent vers un seul créneau. Cette tendance fragilise, voire laisse carrément de côté, les autres composantes du patrimoine identitaire de la troisième grande ville du pays. D'ailleurs, cette désertion d'un terrain qui pourtant a grand besoin d'être investi, est soulignée par des responsables du secteur culturel ou urbanistique même. «Il faut asseoir une configuration assez diversifiée concernant l'implication de la société civile et les associations en matière de protection du patrimoine et ce pour ne laisser aucun pan patrimonial sans prise en charge», préconisent-ils. Mais la réalité est hélas autre. Les associations optent en majorité pour la facilité en se ruant vers le chant andalou comme si tout le capital culturel, civilisationnel et identitaire de la ville se limite à une musique. Cette situation, de l'avis de certains observateurs, nécessite une réorientation des actions et l'établissement de prérogatives distinctes, mais complémentaires, pour une préservation globale et homogène de toutes les expressions patrimoniales locales. A dire vrai la cité millénaire à laquelle on accole de nombreux qualifiants flatteurs ne reflète aucunement cette richesse culturelle qu'elle a mais qui reste enfouie, oubliée. La conjoncture et les défis de l'heure neutralisent toute action de sauvegarde. Et quand l'urgence ou la nécessité conjoncturelle se font sentir, on recourt aux replâtrages pour être au rendez-vous. Les divers chantiers de la rue Mellah Slimane et de la Souika ainsi que la restauration des maisons ont vite montré leurs imperfections. L'identité multiculturelle et patrimoniale de Constantine requiert l'implication de tous, à commencer par les pouvoirs publics qui doivent impliquer les spécialistes comme les artistes et les associations afin de redonner à la ville son aura et sa beauté d'antan. C'est une entreprise et œuvre collective. L'histoire et l'identité d'une ville ne sont pas la responsabilité de la seule administration ou des seuls habitants, mais des deux, qui doivent travailler de concert. N. H.