Quand la crise politique a éclaté fin décembre en Ukraine, tout le monde a cru qu'il s'agissait de la suite de la «Révolution Orange de 2004», dont on disait qu'elle était l'œuvre des laboratoires de la CIA et des alliés de Washington, c'est-à-dire les pays Européens. Les commentateurs avaient pensé que les manifestations qui avait débuté à la Place Maïdan allaient s'essouffler en raison de la force du pouvoir de l'ancien président Viktor Ianoukovitch, qui était prêt à user de la violence pour calmer la colère des Ukrainiens opposés à son alliance avec la Russie. Viktor Ianoukovitch avait préféré signer un accord de coopération avec son homologue Russe Vladimir Poutine, en lieu et place de la signature d'un autre accord d'association avec l'Union européenne. Les évènements qui ont suivi le mouvement de protestation de la place Maïdan ont pris de court les analystes qui croyaient au scénario syrien en Ukraine, ou du moins à la fin de la contestation dans le sang sans que le Président ne soit jugé, en raison du soutien du Kremlin à sa démarche. Mais rien de tel ne s'est passé et le président Ianoukovitch a fini par céder à la pression de la rue après avoir vidé les caisses de l'Etat et fait des morts parmi les manifestants qui se sont montrés prêts à tenir jusqu'à la chute du régime pro-russe de Kiev. Loin des évènements de Kiev, la guerre diplomatique avait fait rage, et elle se poursuit jusqu'à présent même si les Russes et les Etats-Unis tentent d'apaiser les tensions pour que l'Ukraine sorte de la crise et amorce un nouveau cycle politique à même d'amener la paix, malgré la perte de la Crimée qui a choisi de faire partie du territoire de la Fédération de Russie via les urnes. L'intégration de la Crimée à la Russie a été une cinglante défaite pour l'Union européenne et les Etats-Unis qui ont perdu une importante bataille contre Moscou, dont le retour sur la scène internationale a bouleversé les équilibres régionaux et internationaux cette dernière décennie. Mais pourquoi la crise ukrainienne a déclenché cette confrontation directe entre l'Occident et la Russie ? Avec ses 47 millions d'habitants, l'Ukraine n'est pas seulement un marché à conquérir. Elle est au cœur d'un véritable conflit d'intérêt d'ordre géopolitique, énergétique et militaire. Même si Bruxelles n'a pas encore l'intention d'intégrer Kiev dans l'union des 27, elle ne voudrait en aucun cas voir l'Ukraine rallier la Russie dont l'objectif est de réaliser le rêve de Poutine qui consiste à former sa propre Union sur le territoire euro-asiatique. Le projet de l'Eurasie de Vladimir Poutine a besoin de la participation de l'Ukraine qui lui servira de porte d'entrée pour l'Europe de l'Ouest. Et la dégradation des rapports entre Moscou et les capitales occidentales vient de ce projet qui n'est pas pour plaire à Washington. Les Etats-Unis, qui ont réussi à implanter leur bouclier anti-missile dans les anciennes républiques soviétiques, comme la Pologne, souhaiteraient bien que l'Ukraine vire vers l'Ouest. L'alliance de la Maison- Blanche avec Bruxelles pour soutenir Kiev contre Moscou va à l'encontre des ambitions de Vladimir Poutine. Et pourtant, la réalité géographique est là pour nous rappeler que la Russie et l'UE n'ont d'autres choix que de former un bloc uni ou du moins nouer des relations apaisées. La crise ukrainienne a révélé que cette relation de bon voisinage n'est pas possible pour le moment, en raison de la donne américaine qui influence le choix de l'Europe de l'ouest via l'Otan. Beaucoup d'analystes estiment que Bruxelles devrait sortir du giron de l'Otan pour concrétiser une véritable coopération avec Moscou et les autres républiques qui sont actuellement membres de l'Union douanière créée par la Russie avec le Kazakhstan et le Belarus. «En cette période de crise (économique et financière, ndlr), peu de puissances européennes veulent penser à une éventuelle adhésion à l'UE d'un autre pays pauvre de la périphérie orientale (...l'Ukraine...) Qui plus est l'extension à un pays de près de 46 millions d'habitants qui connaît constamment une crise politique et économique. Quant à la Russie, membre à part de la famille européenne, il serait bien naïf de penser que sa reconstruction ne se fasse pas via une consolidation maximale des relations avec les Etats étrangers proches, c'est-à-dire dans l'espace post-soviétique, et dans une logique eurasiatique», lit-on dans une analyse d'un journaliste indépendant russe, reprise par Ria Novosti. L'Union douanière à laquelle devait adhérer l'Ukraine n'est, en fait, qu'une étape dans la construction de la Communauté économique eurasiatique (Ceea) à l'horizon 2015. Mais cette organisation est loin d'être d'un ordre politique et économique. Elle est aussi d'ordre militaire, ce qui ne va pas avec les intérêts de l'Otan, dont l'intervention militaire en Afghanistan aurait pu ne pas avoir lieu si la Ceea existait avant 2001. Cela expliquerait peut-être la création la même année de l'Organisation de la coopération de Shanghai qui regroupe six membres permanents : la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan. L'Inde, l'Iran, la Mongolie et le Pakistan sont des membres observateurs, tandis que le Sri Lanka et la Biélorussie ont le statut de partenaires. L'Afghanistan a émis le vœu d'avoir le statut d'observateur, alors que la Turquie a carrément demandé d'adhérer en tant que membre permanent. Pourtant, Ankara, dont l'adhésion à l'UE est peu probable, fait déjà partie de l'Alliance atlantique. Dans ce jeu des alliances politiques, économique et militaires, l'Ukraine est-elle obligée de rallier un camp au détriment de l'autre ? Ou peut-elle être seulement le trait d'union entre deux blocs qui font partie d'un monde multipolaire et en pleine mutation ? L. M.