Nasser Hannachi Ce sont quelques-uns des vestiges historiques de la ville millénaire, parmi d'autres, qui devront bénéficier de plus d'attention, après avoir longtemps résister aux multiples atteintes auxquelles ils ont été confrontés par le passé faute d'une attention de la part des responsables locaux focalisés sur d'autres problèmes prioritaires telle la crise du logement. La priorité est certes réelle, mais elle ne devait pas pour autant éclipser la dimension civilisationnelle de la ville qui est justement matérialisée par tous ces sites. Il aura donc fallu attendre la méga manifestation pour voir s'ébranler des actions visant à corriger toutes les déficiences générées par la bêtise et l'ignorance qui ont porté atteinte au patrimoine culturel de Cirta. L'action, ou l'inaction, de l'homme a eu plus d'effets dévastateurs que l'érosion du temps. Et ce n'est pas fini. Car, pour l'heure, on continue d'attendre le résultat des travaux des bureaux d'études qui devront décider du début des restaurations. Encore de la patience. Il en faut eu égard à l'importance et la sensibilité des interventions et des travaux de réhabilitation des vestiges historiques qui nécessitent de la technicité, du savoir-faire et du professionnalisme, à tous les niveaux et dans toutes les étapes d'intervention. Et ce n'est que tardivement que les pouvoirs publics se sont penchés sur ce que tous les spécialistes et experts considèrent comme une richesse patrimoniale devant être préservée et valorisée. Ces dernières années, l'Algérie a franchi un pas décisif dans le domaine de la préservation de son patrimoine culturel, matériel et immatériel. La ville du transrhumel n'est pas en reste et se démène pour sauver ses repères identitaires à la faveur des multiples enveloppes financières dégagées dans ce contexte. Jusqu'ici tous les budgets débloqués servent pour les besoins des études techniques, préalables nécessaires avant le lancement des travaux. Aussi, sur le terrain, le résultat n'est-il pas encore visible, le travail se déroulant dans les bureaux et les laboratoires. Il faudra donc attendre encore quelques temps, quelques mois peut-être, considérant la complexité de ce genre d'opérations de réhabilitations promises aux aires chargées d'histoire et de label ancestral. «C'est une action qui durera dans le temps. Tout travail de restauration requiert une attention délicate et une main-d'œuvre qualifiée. Pour le cas de Constantine, ce sera des ateliers ouverts aux jeunes professionnels le long des opérations de réhabilitations», nous expliquait un spécialiste en restauration. Le recensement des sites à préserver a été élaboré à la faveur de la manifestation «Constantine, capitale de la culture arabe 2015». Au total, ce sont 74 projets de restauration de vestiges patrimoniaux, dont un programme englobant 18 opérations de réhabilitation des secteurs patrimoniaux protégés. 16 sites à Constantine, à l'intérieur des limites du secteur sauvegardé du mausolée de Sidi M'hamed Loghrab et du site archéologique de Tiddis à Beni H'midane, sont délimités avec un planning important nécessitant évidemment temps, talents et moyens financiers. Pour ce dernier point, il n'y aurait pas problème. L'enveloppe budgétaire est prête et n'attend que le passage à l'action, se félicitent les gestionnaires des offices culturels. 2015 est une aubaine pour la culture et sera l'année d'une mise à niveau globale quant au patrimoine sous ses diverses formes. Selon les spécialistes, «la demande de protection des sites est exprimée par des personnes publiques ou des propriétaires privés. Pour ce dernier cas, on cite l'exemple des habitants de la vieille ville». D'ou la mise en place d'une commission consultative apte à initier une analyse globale des espaces à remettre en valeur. Il y aura également, dans certains cas, des classements d'office de sites recensés. C'est ce qui explique quelque part la complexité du chantier, ce qui prend du temps et induit les retards occasionnés aux restaurations des vestiges. Il est vrai que les études techniques sont un passage obligé, incontournable si on veut faire du bon travail et réussir la restauration, mais le temps ne travaille pas pour les sites dont la dégradation est déjà trop avancée pour certains. Tiddis, à titre d'exemple, est en attente depuis des années déjà, et s'est contenté jusque-là de quelques replâtrages en attendant le véritable chantier de restauration. L'entreprise Urbaco qui a achevé les trois phases d'étude, devra rendre son expertise pour permettre aux intervenants de lancer les travaux nécessaires. «Pour l'heure, on barricade la superficie qui s'étend sur 42 hectares», nous confie le président de l'association, qui porte le nom du site, M. Mechati. Que de temps et d'argent gaspillés durant presque une décennie pour ne livrer en fin de compte que des esquisses sommaires relatives à la cartographie patrimoniale de Constantine. Et ce devant le regard impuissant de quelques associations actives qui sont tenues éloignées des réunions de concertation et observent désarmées la dégradation des arcades, colonnes et pavements. «Il y a une grande part d'indifférence de la part des associations versant dans le domaine. Sinon la médina, avec ses zaouias, hammams, foundok, derbs... ne serait pas dans cet état, à la limite de récupération», souligne un urbaniste. À son avis, «dans ce genre de chapitre il ne faudra pas se focaliser sur les propositions étatiques émises au niveau central ou local, quelles qu'elles soient. Le patrimoine est une mémoire collective qui interpelle chaque citoyen. Il a grand besoin d'une attention collective». Plus incisif, le spécialiste dénonce les prétendus garde-fous et gardiens du patrimoine, n'hésitant pas à pointer du doigt ces présumés défenseurs des richesses patrimoniales, sans aller jusqu'à les citer, alors qu'en réalité «ils ne cherchent qu'à briller le temps d'une entrevue pour tenter une opération d'impression globale devant les sphères de décisions». Qu'a-t-on réellement fait pour Souika, Massinissa, Tiddis, si ce n'est des discours et des jérémiades. La manifestation de 2015 est-elle la carte de la dernière chance ? Signera-t-elle la sauvegarde du patrimoine culturel matériel et immatériel de Cirta et évitera-t-elle à la ville millénaire la perte de pans de sa mémoire collective ? Ces questions ne tarderont pas à trouver leurs réponses. Mais, pour l'heure, rien ne garantit qu'elles soient celles qu'attendent les véritables défenseurs du patrimoine. N. H.