Le commun des mortels, esprit léger et conscience tranquille, pourrait s'en vouloir de ne pas rouler carrosse et disposer d'un modeste pied-à-terre à quelques millions d'euros à Neuilly. Et, que voulez-vous, l'être humain n'est qu'un fétu de paille, donc faible et secrètement envieux. Pour autant, tous les pauvres ne rêvent pas de devenir des «mercantis» qui ont volé leur peuple. Humbles et stoïques, eux au moins n'ont de reconnaissance à exprimer à personne. Quel devoir moral les y obligerait ? Ils ne sont redevables de rien à personne. Surtout quand, partis de rien, ils ne sont arrivés nulle part et se sont fait tous seuls. D'autres ont trouvé l'astuce. Elle consiste à se faire passer pour des commis (koumis ?) au service de l'Etat et des citoyens pour, la griserie des sommets aidant et enivrant, se jouer de la République et se révéler d'authentiques truands, gloutons dans la rapine et prompts à s'asseoir sur leur honneur jusqu'à se les écrabouiller. Les Français ont eu un gars comme ça. Pendant toute l'année 2013, il a défrayé la chronique politico-judiciaire avec une histoire de comptes bancaires dont il a dissimulé l'existence à ceux qui l'ont investi de confiance et de... responsabilités importantes. Jérôme Cahuzac, pour ne pas le nommer, a emprunté la voie de la «militance» socialiste pour se faire élire, devenir une grande personnalité respectée et même moralisatrice. Il en avait surtout après les fraudeurs du fisc, dénonçant leur incivisme et leur promettant toute la rigueur de la loi. Devenu ministre du Budget, son passé de fraudeur le rattrapa : des millions d'euros, fruits de sa corruption par des entreprises privées, planqués en Suisse, Singapour et dans l'île de Man, un paradis fiscal. Dès que le fait fut établi, l'homme sera débarqué de ses fonctions et la redoutable machine «fiscalo-judiciaire» mise en branle. Comme quoi, la corruption, la fraude fiscale, la gabegie, l'insuffisance des contrôles et les dysfonctionnements ou insuffisances de l'Etat qui les rendent possibles, tout cela peut exister même dans des pays aux institutions réputées efficaces et solides. Donc, les Algériens qui disent que notre pays est le plus pourri du monde portent un jugement excessif. Non, la pourriture, c'est comme la pauvreté, on en trouve toujours de plus pauvres que des pauvres. C'est la même chose pour la corruption, la prédation et le détournement des biens et des fonds publics. Donc, en ce domaine, il y a forcément plus pourri que l'Algérie. Rien qu'en Afrique, on peut déjà citer au moins quatre pays : la Guinée équatoriale du président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, possesseur de nombreux biens mal acquis en France, le Lesotho du roi Letsie III, la Libye d'avant et après Kadhafi, le Burundi du président Pierre Nkurunziza. De savoir qu'on n'est pas seul dans la mélasse, ça aide à tenir, à se donner du courage. Mais une différence de taille doit être relevée. Pas avec le Lesotho ni même la Libye. Le pays de Jérôme, capable de poursuivre ses contribuables jusqu'au dernier centime, grand pourfendeur des paradis fiscaux et de la corruption en Russie (surtout la Russie) est beaucoup moins regardant sur les fortunes que viennent déposer dans ses banques des responsables étrangers qui ont volé leurs compatriotes. Il ne diligente même pas d'enquête sur l'origine de l'argent qui sert à l'achat d'appartements luxueux. Pas gêné de servir au recyclage de l'argent sale, il va jusqu'à offrir des titres de séjour VIP de dix ans et tant pis pour les crève-la-faim qui se font plumer dans leur pays sans réagir. Elle n'est pas belle la France ? A. S