Le Calife, Abou Bakr al-Baghdadi, a appelé, dans un message audio de 20 minutes, mis en ligne le 1er juillet dernier, les «Moudjahidine» à rejoindre l'Eiil, qualifiant cette migration de devoir personnel dont tout musulman doit s'acquitter. Il les a appelé à prendre les armes en Chine, en Inde, en Indonésie, en Egypte, en Irak, en Syrie, au Pakistan, en Tunisie, en Libye, en Algérie et au Maroc, pour les brimades et tortures subies par les musulmans, et les profanations des mosquées dans ces pays. «Aux armes, aux armes, vous soldats de l'Etat islamique (EI), la Nation de l'Islam attend votre djihad dans plusieurs contrées et pays», a-t-il lancé. Mais qui sont donc Abou Bakr al- Baghdadi et son organisation Eiil qui après la conquête d'une partie de l'Irak et de la Syrie, compte aller au bout de son projet qui s'étend du sud de l'Europe vers l'Asie, en passant par la domination de tout le Moyen-Orient ? L'Eiil n'est pas une organisation djihadiste nouvelle. D'obédience sunnite, le groupe s'est tout d'abord constitué sous l'égide d'Al-Qaïda et de Abou Moussab al-Zarqaoui dans le nord irakien, sous le nom d'Al-Qaïda en Irak, et a démarré sa lutte aussi bien avec les forces d'occupation que les mouvements de résistance chiites. À la mort d'Al- Zarqaoui en 2006, ce groupe prend l'appellation officielle d'Emirat islamique d'Irak. Et c'est à partir de 2011 que l'Eiil va monter en puissance et étendre sa zone d'influence jusqu'à ouvrir un deuxième front en Syrie à partir de 2012. En 2013, à la faveur de la guerre contre le régime syrien, l'Eiil tente de fusionner avec le Front Al- Nosra, la principale force djihadiste en Syrie et une branche d'Al-Qaïda. C'est à ce moment-là que ce groupe décide de devenir l'Emirat islamique en Irak et au Levant. Une tentative de putsch d'Eiil sur le Front Al-Nosra qui a débouché sur des affrontements armés entre les deux groupes faisant des milliers de morts dans les deux camps. Une situation qui ne va pas plaire aux dirigeants d'Al-Qaïda dont le chef Ayman al-Zawahiri va finir par annoncer que le Front Al-Nosra est le seul représentant légitime de l'organisation en Syrie en ordonnant à l'Eiil de se concentrer uniquement sur l'Irak. Mais l'organisation, qui a décidé de créer un califat, va tout simplement afficher son insubordination et passer à l'offensive pour officiellement mettre à exécution son projet d'Emirat islamique. Cet affront de l'Eiil à Al-Qaïda vient renforcer la polémique politique et théorique engagée depuis un moment déjà entre les deux organisations à laquelle s'ajoute actuellement celle du leadership. En effet, Abou Bakr al- Baghdadi a transgressé les règles établies par Al-Qaïda central, en décidant d'étendre sa zone d'activité à la Syrie. Il s'oppose également au chef d'Al-Qaïda sur l'attitude à adopter vis-à-vis des chiites. Al-Baghdadi est pour une guerre totale contre ceux qu'il considère comme étant des apostats, alors que Zawahiri est plus conciliant. Et pour finir, Al-Baghdadi s'est payé le luxe de faire assassiner un des principaux émissaires d'Al-Qaïda central. Beaucoup d'observateurs s'attendent à ce qu'Al-Qaïda utilise la proclamation du califat pour dénigrer l'Eiil. Pour le moment, rien n'est encore fait et l'Eiil continue à faire de l'ombre à Al-Qaïda et risque de prendre le pouvoir spirituel sur ses groupes armés et de la supplanter, d'autant que les raids éclairs lancés en juin 2014 en Irak l'ont rendu très populaire dans le monde djihadiste. L'Eiil qui affirme avoir 16 commandements de zones en Irak et en Syrie, commence à recueillir l'adhésion d'autres mouvements islamiques. Ce qui est inquiétant pour Al-Qaïda central. C'est le cas notamment de certains mouvements islamistes radicaux présents au Sinaï, de quelques chefs locaux en Afghanistan, des groupuscules djihadistes libyens, des activistes sunnites libanais et même des mouvements indonésiens qui se réfèrent aujourd'hui à Al-Baghdadi alors qu'ils dépendaient idéologiquement d'Al-Qaïda. D'autres, comme la branche d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) annonce leur soutien à l'Eiil en critiquant Al-Qaïda, la maison mère et ses filiales, pour ne pas avoir exprimé publiquement leur soutien à Daech. Ces allégeances et soutiens exprimés à l'Eiil inquiètent énormément les Etats qui ont peur que cette proclamation serve d'élément d'union des groupes armés. Mais cette nouvelle donne risque aussi de redoubler les luttes intestines et donner lieu à une guerre de leadership entre dirigeants terroristes. Le seul problème, c'est que cette lutte pourra s'accompagner d'opérations spectaculaires et d'attentats à travers lesquels chaque groupe montrera qu'il est le plus fort et le plus efficace dans le combat historique contre les mécréants. L'heure est à la vigilance. H. Y.
