«On aurait un peu plus confiance (en l'avenir) si Ebola n'était pas sur notre continent», a confié la présidente de la Commission de l'Union africaine Nkosazana Dlamini Zuma, lors du 14e Forum économique international sur l'Afrique, organisé par l'Ocde à Paris. Le «coup est énorme pour les trois pays qui étaient en situation post conflit avec des institutions fragiles», souligne Carlos Lopes, le secrétaire exécutif de la Commission économique pour l'Afrique. Car comme le souligne Ayodele Odusola, chef de stratégie et d'analyse au bureau Afrique du Programme des Nations unies pour le développent (Pnud), «cela n'affecte pas que le système de santé, cela touche toute l'économie et le développement». «Ces trois pays avaient tourné le dos à leurs problèmes de conflit et allaient si bien», regrette Mme Dlamini Zuma. Ainsi, la Sierra Leone escomptait un taux de croissance en 2014 de 13,8%, le Liberia de 6,8% et la Guinée de 4,2%. Mme Dlamini Zuma a souligné que ces pays vont revoir leurs PNB à la baisse en raison de la crise Ebola. Le gouvernement du Liberia a déjà indiqué que la croissance du pays pourrait être divisée par deux en 2014. Selon les calculs de la Banque mondiale, le produit intérieur brut cumulé de ces trois pays pourrait être amputé de 359 millions de dollars en 2014 et de 809 millions en 2015 si l'épidémie n'est pas contenue. M. Lopes refuse de parler chiffres mais convient que les dégâts peuvent être à long terme : il y a le ralentissement de l'activité, mais aussi les baisses des recettes fiscales et douanières, la «déviation de dépenses de l'Etat» vers la lutte contre Ebola au détriment d'autres secteurs etc. En paralysant de nombreux domaines comme le tourisme mais surtout l'agriculture, les transports et les mines (les trois pays ont de grandes ressources), Ebola a fait, «dans un effet boule de neige», monter les prix de nombreux produits dans les pays voisins en même temps qu'elle privait de nombreux travailleurs saisonniers de ressources. Le «commerce informel qui est très important aussi dans ces régions» a également pris un coup sévère, selon M. Odusola. Les pays voisins vont donc aussi subir les effets d'Ebola mais il y un autre grand danger : le «facteur peur», les experts craignent que la crise Ebola n'effraie investisseurs et touristes. «Ces trois pays représentent moins de 1% de l'économie africaine», mais les autres pays africains seront affectés par la crise en raison des problèmes de «perception» et de «l'étiquetage négatif de l'Afrique», analyse M. Lopes. «On a moins peur du fait que ces 3 pays aient Ebola» que de la perception du monde qui pense que «toute l'Afrique a Ebola», admet Mme Dlamini Zuma. Ebola peut aussi avoir un effet sur les opérateurs économiques, qui peuvent craindre une plus grande volatilité de leurs investissements dans des pays africains exposés à de telles crises. Dans ce contexte, les trois pays de l'Afrique de l'ouest frappés de plein fouet par l'épidémie d'Ebola sont autorisés par le FMI à accroître leurs déficits budgétaires afin de ne pas freiner leur reprise économique, a indiqué jeudi à Washington, la directrice générale du Fonds, Mme Christine Lagarde. «Pour ces trois pays (le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée) et seulement ces trois pays sont autorisés à accroître leurs déficits budgétaires pour ne pas freiner leur reprise économique», a déclaré Mme Lagarde au cours d'une conférence de presse tenue au siège du FMI. A ce propos, elle a admis qu'une pareille mesure «n'est pas dans les traditions du FMI» réputé rigoureux sur la question de la discipline budgétaire pour les pays en difficultés financières. Mais elle a expliqué que le FMI était conscient des dommages économiques que pourrait engendrer une telle épidémie. Selon le FMI, l'Afrique sub-saharienne va conserver une croissance «robuste» de 5,1% en moyenne cette année et 5,8% en 2015, avec cependant des risques pour l'activité économique, notamment l'épidémie d'Ebola. «Au-delà des graves implications humanitaires, l'épidémie liée au virus Ebola fait payer un lourd tribut économique à la Guinée, au Libéria et au Sierra Leone», a souligné le FMI. «Si (elle) devait durer davantage ou se propager à d'autres pays, les conséquences seraient dramatiques pour l'Afrique de l'ouest», a-t-il ajouté. Le coût économique d'Ebola pour l'Afrique de l'Ouest pourrait dépasser 32 milliards de dollars d'ici à la fin 2015 si l'épidémie venait à s'étendre hors des trois pays actuellement touchés, a estimé la Banque mondiale mercredi. «Si l'épidémie devait frapper un nombre important de personnes dans les pays voisins, dont certains ont des économies bien plus importantes, l'impact régional financier sur deux ans pourrait atteindre 32,6 milliards de dollars d'ici à la fin 2015», assure un rapport de l'institution. L'impact économique est déjà «profond» dans les trois pays foyers de la fièvre hémorragique (Liberia, Guinée, Sierra Leone) qui a fait jusqu'à présent près de 3 500 morts en Afrique de l'Ouest, mais pourrait devenir «catastrophique» dans un scénario où Ebola ne serait que faiblement contenu, souligne la Banque mondiale. Les répercussions pourraient toutefois être limitées si l'action «immédiate» de la communauté internationale parvenait à freiner l'épidémie et à atténuer «le facteur peur», qui pousse les pays voisins à fermer leurs frontières ou à suspendre leurs échanges commerciaux, aggravant l'impact économique du virus, souligne le rapport. Selon la BM, l'efficacité de la lutte contre l'épidémie au Sénégal et au Nigeria démontre qu'un tel objectif est atteignable si le système de santé a déjà quelques «capacités» et si la réponse politique est «déterminée». A plus long terme, un effort particulier devra être consenti pour «rétablir» la confiance afin que les investisseurs locaux et internationaux reviennent dans les pays frappés par Ebola. De son côté, l'organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO) a annoncé mercredi avoir lancé un nouveau programme de soutien aux populations d'Afrique de l'Ouest touchées par l'épidémie de fièvre Ebola, qui perturbe gravement les travaux agricoles. La FAO a effectué un appel d'urgence de 30 millions de dollars pour financer ce programme afin de soutenir les élevages et les cultures, vivrières et de rente, des paysans de Sierra Leone, du Liberia et de Guinée. Selon Vincent Martin, responsable de la coordination régionale de la FAO à Dakar, cité dans le communiqué de la FAO, l'action de l'Organisation vise à «stopper la perte tragique de vies humaines tout en protégeant les revenus, les niveaux de nutrition et la sécurité alimentaire» des populations. La FAO compte ainsi mener des campagnes de sensibilisation auprès des populations et lancer des stratégies de microfinancement pour sauvegarder les revenus en milieu rural, explique-t-elle depuis son siège, à Rome. Selon les premiers résultats des enquêtes d'évaluation rapide, en Sierra Leone 47% des gens interrogés ont répondu que l'épidémie d'Ebola «perturbait considérablement leurs activités agricoles». Au Liberia, dans le comté rural de Lofa, le plus touché du pays -le Liberia étant le pays le plus touché de la région - les prix des produits de base avaient augmenté de 30 à 75% dès le mois d'août. «Ces actions ne peuvent pas attendre», insiste également dans le communiqué Bukar Tijani, représentant régional de la FAO : «L'épidémie a déjà réduit le pouvoir d'achat des ménages vulnérables, ce qui signifie moins de nourriture dans leurs assiettes et des risques nutritionnels accrus pour les familles qui sont déjà en régime de subsistance». «La peur et la stigmatisation menacent également de réduire les activités agricoles, compromettant ainsi la sécurité alimentaire», ajoute-t-il. Effet attendu, l'effondrement de certaines sociétés cotées Bourses et l'augmentation des prix de certaines matières premières. Si pour le café et le cacao, l'absence de main-d'œuvre inquiète pour les récoltes, la faillite de certaines sociétés est également à l'ordre du jour. Ainsi, la compagnie minière britannique London Mining s'est effondrée mercredi à la Bourse de Londres après avoir prévenu que son action pourrait perdre toute valeur, au moment où l'épidémie d'Ebola en Afrique dissuade les investisseurs d'apporter les capitaux nécessaires. A la Bourse de Londres, l'action London Mining chutait de 74,19% mercredi à 13H00 GMT, valant moins d'un pence. «On dirait que c'est le bout du chemin pour London Mining à moins qu'un nouvel investisseur ne vienne à la rescousse», a commenté un courtier. La petite société concentre son activité sur la mine de minerai de fer de Marampa en Sierra Leone. Mais l'expansion de la maladie semble décourager les investisseurs potentiels, pourtant indispensables alors que le groupe est déjà endetté. «L'épidémie d'Ebola en Sierra Leone a créé des difficultés significatives à la fois pour le processus d'investissement stratégique démarré en mai et pour la performance opérationnelle actuelle de l'activité», écrit l'entreprise dans un communiqué. La rentabilité de la mine est d'autant plus sous pression que les cours du minerai de fer, ingrédient clef pour l'industrie sidérurgique, sont à leur plus bas depuis 2009. Marampa est la seule mine en activité de London Mining, qui développe par ailleurs d'autres projets en Arabie saoudite et au Groenland. Le groupe employait près de 1 600 personnes l'an dernier, dont l'essentiel en Sierra Leone, que ce soit sur le site de la mine ou dans ses bureaux de la capitale Freetown. Le virus Ebola fait autant de dégâts directs que collatéraux. A. E./agences