Nasser Hannachi Les adeptes du genre musical malouf se sont succédé à l'ouverture de la manifestation. Fergani, Benani, Chouyoukh Tunis, Aouabdia ont marqué le spectacle inaugural de la 8e édition du Festival culturel international du malouf de Constantine, qui, pour cette année, a été délocalisé au Khroub, pour cause d'indisponibilité d'espace au chef-lieu de wilaya, les infrastructures culturelles de la ville pouvant accueillir le festival étant en chantier en prévision de la manifestation «Constantine, capitale de la culture arabe 2015». L'édition 2014 s'est ainsi ouverte jeudi soir dans la commune du Khroub, qui abritera ses six soirées sur une scène improvisée au niveau de la salle omnisports Ismaïl-Sedrati. Le festival n'a pas dérogé à sa ligne de conduite pour cette première inaugurale. Hadj Mohamed Tahar Fergani a donné le La à ce rendez-vous musical annuel, qui s'étalera jusqu'au 14 octobre, en présence d'un public nombreux, issu notamment de cette municipalité, qui étrenne par conjoncture cette édition en raison des chantiers engagés au chef-lieu. Entouré de son fils Mourad et de son petit-fils Adlane, dont il est fier car le considérant comme son successeur incontestable, Mohamed Tahar Fergani, quoique l'âge lui fasse parfois quelques incommodités vocales, a dominé la scène en maître du genre. Istikhbar dil, Ras dil, B'taïhi et khlas Wahd el ghouziel s'alternent sur le plateau sous des applaudissements des puristes. Et lorsque le pionnier titille son violon, la salle se transforme en cathédrale. Il a invité ses deux propres artistes - comme le veut la tradition- à s'illustrer chacun dans son registre, une façon de dire que la saga des Fergani se poursuit, et qu'elle a encore de beaux jours devant elle. En effet, pour les inconditionnels du genre, un festival du malouf sans cet artiste, qui est considéré comme son premier représentant, serait vide, un ratage, dirait-on. Hamdi Benani, le Bônois, l'homme au costume blanc et à l'alto fétiche opalin, s'est également produit avec son orchestre dont fait partie le fils guitariste, aussi fidèle par la couleur de son instrument, caprice du père. Puriste et moderniste à la fois Benani sait faire la part des choses : «Dans un gala j'improvise, j'ajoute des nuances, des appogiatures. Tout me semble permis pour peu que le background musical ne soit pas altéré», nous dira l'artiste avant de monter sur scène. «Puriste, je le suis dans des manifestations du genre. Aujourd'hui, il s'agit d'un évènement voué au malouf, donc on doit respecter les règles et ne faire que ce qui entre dans la composition de cette musique savante. Aujourd'hui, je vais interpréter un morceau que j'ai joué ici même à Constantine dans les années soixante Ya rabi faredj alina, et que, depuis je n'ai jamais repris», ajoutera-t-il. Une production magistrale plaça la soirée dans une ambiance andalouse. Comme Fergani, Benani offrira un bonus au public : le fils s'adonnait à une interprétation plus ou moins moderne puisque la guitare renvoyait quelques accords plaqués, un essai qui a trouvé des oreilles attentives. Benani estimera que ce festival permet un meilleur rapprochement entre les artistes, notamment les nouveaux en plein essor. Et les autres musiques du Maghreb et de l'Orient «renferment des similitudes musicales avec le malouf, c'est seulement les interprétations et les modes qui diffèrent». La musique tunisienne, représentée par Chouyoukhs el malouf, enrichira cette première affiche. Elégante, elle brillait par des justesses dans l'exécution vocale et instrumentale. Et les habits traditionnels en rajoutaient de l'originalité. «Il y a une ancienne liaison historique entre l'école constantinoise et celle tunisienne, sauf que les modes changent», nous dira le chef d'orchestre Makram El Insari, qui a mis en place cette formation il y a seulement deux ans. Wassalats, en divers modes, Mawals, Naoura, et bien d'autres chansons individuelles puisées dans la tradition musicale tunisienne ont été interprétées au grand bonheur des mélomanes, bien que la salle se soit peu à peu vidée en milieu de soirée. Selon des spectateurs, cela a des raisons : «On a trop chargé la programmation. Quatre troupes cela fait un peu épais», nous confiera un présent. Tandis que sur le plan sonorisation quelques artistes que l'on a accostés n'ont pas manqué de mettre en relief une acoustique «limite, limite», étant donné que l'espace n'a aucun paramètre spécifique pour abriter un style aussi délicat que cette musique sensible. Il n'empêche qu'en gros, la sonorisation était acceptable. «Loin de la perfection, mais on a fait avec», nous révèlera Adlane Fergani à la fin de son show, en compagnie de son grand-père. Hier, le festival devait se poursuivre avec la formation El farabi de Syrie, de Kesri Lakhdar (Annaba), le lauréat du dernier festival national du malouf, l'association Nedjm Kotoba. Le festival qui s'est tenu malgré des disproportions alarmantes dans sa délocalisation : absence d'une structure répondant aux normes sans omettre les assises d'une véritable socialisation artistico-culturelle (vulgarisation notamment), révèlent pour ce début une âme un peu frêle, si ce n'est cet engouement caractérisant tout début de manifestation institutionnalisée marquée par la présence des officiels. Et l'impact sera une aventure aux équations inconnues. La délocalisation obéit à ses règles. «Le gel de la manifestation aurait été la meilleure option avant 2015», soulignent quelques mélomanes, entre deux préludes. Les futures soirées da la salle Ismaïl-Sedrati au Khroub éclaireront certainement sur la portée culturelle de la manifestation. N. H.