Censée être un espace où l'exercice de la violence est absent, l'école demeure en Algérie, malheureusement, un terrain vague où s'expriment aisément toutes les frustrations possibles et imaginables. En proie depuis longtemps à ce problème complexe de société, l'école peine toujours à se relever de cette crise aiguë qui la frappe de plein fouet. Il faut dire que dans la réalité quotidienne, les châtiments corporels sont considérés comme étant une pratique tout à fait normale au sein de la famille algérienne. Une récente étude du ministère de la Famille et de la Condition féminine vient de révéler à ce sujet un état des lieux qui, pour le moins qu'on puisse dire, ne laisse guère l'observateur indifférent. Et pour cause, selon les auteurs de cette étude, plusieurs enquêtes approfondies ont démontré que plus de 80% des familles algériennes, continuent à infliger des souffrances physiques à leur progéniture au nom du sacro-saint principe de l'éducation. En conséquence de cette mentalité, archaïque, certes, mais toujours dominante dans notre contexte social, plus de 94% des familles algériennes souffrent de grandes difficultés à élever leurs enfants, signalent encore les auteurs de l'étude. A cet effet, selon toutes les enquêtes sociologiques menées à ce jour, les châtiments corporels sont largement et facilement acceptés comme une forme de discipline au sein de la société. Dans ce contexte, il ne faut guère s'étonner, soulignent des psychologues cliniciens et des sociologues interrogés à ce sujet, que les châtiments corporels soient toujours utilisés comme mesure disciplinaire, y compris au sein même de l'école. Pourtant, les châtiments corporels et le harcèlement moral sont proscrits depuis l'adoption, le 23 janvier 2008, de la nouvelle loi d'orientation sur l'éducation nationale. L'article 21 stipule en effet que «toute forme de violence et de harcèlement moral sont proscrits dans l'enceinte des établissements scolaires. Les auteurs de ces violences s'exposent à des sanctions administratives et à des poursuites judiciaires». Une disposition déjà incluse dans l'ordonnance de 1976, mais qui n'a pas empêché certains enseignants de l'enfreindre allégrement. Le constat reste donc amer. Car, en dépit de cette loi, les cas de sévices corporels subis à l'école sont légion. Des enseignants, poussés à bout par des élèves trop bruyants et peu respectueux, perdent de vue leur rôle principal en insultant ou en infligeant aux élèves des châtiments corporels. Dans un très grand nombre de cas, les élèves, dans les primaires et les collèges notamment, peuvent être punis physiquement et de manière routinière pour des infractions mineures telles que mâcher du chewing-gum, parler dans le dos d'un professeur ou pour s'être battus, rapportent de nombreux témoignages d'élèves recueillis par des inspecteurs de l'éducation nationale. Il faut savoir que tout en interdisant ce genre de comportements, la loi oblige également les élèves à manifester du respect à l'égard du corps enseignant. L'article 20 est à cet égard clair : «L'élève est tenu de respecter le règlement intérieur de l'établissement et de bien se conduire.» Cependant, pour l'Union nationale des associations des parents d'élèves (UNAPE), si la violence au sein des établissements scolaires «a dépassé les limites», c'est que «90% des enseignants manquent de formation psychologique et pédagogique», a affirmé récemment dans les colonnes de la presse nationale, Ahmed Khaled, le président de l'UNAPE. En s'insurgeant contre ceux qui trouvent des excuses dans le comportement violent des enseignants à l'égard des élèves, Ahmed Khaled réclame l'instauration obligatoire et effective par le département de Benbouzid de tests psychologiques pour tous les enseignants. Ces tests permettront de dépister les enseignants souffrant de problèmes psychiques et incapables d'assumer pleinement leur mission. «On veut faire payer à l'enseignant la démission parentale» Les enseignants sont-ils alors dans le collimateur ? En tout cas, le récent décès de Marwa, la collégienne de Annaba, dans en classe alors que sa professeur d'arabe venait de lui administrer des coups, a terni encore davantage l'image du corps enseignant dans l'éducation nationale. Et ce, même si l'autopsie pratiquée sur le corps frêle de la petite Marwa a révélé que l'élève était morte pour cause de maladie. Elle souffrait, en effet, d'une cardiopathie, et n'est pas morte suite aux coups qu'elle avait reçus dans l'école. Dénonçant cette campagne insidieuse qu'ils jugent diffamatoire, les enseignants s'estiment eux aussi victimes de la violence scolaire. «Je ne défends pas les enseignants violents avec leurs élèves. Mais, croyez-moi, c'est de la caricature et de la mauvaise foi de dire que la majorité des enseignants recourent au châtiment corporel. En plus, les parents d'élèves oublient souvent que nous sommes nous aussi victimes des comportements violents de leurs enfants. Il ne se passe pas un jour sans qu'un enseignant ne soit menacé, insulté et agressé. Alors, pourquoi nous faire passer pour les seuls coupables ?», réagit Slimani Hakim, un professeur de maths au lycée Amara Rachid, qui traîne derrière lui une vingtaine d'année d'enseignement secondaire. «Et bien, ce sont souvent les parents qui viennent nous demander de se montrer dur et ferme avec leurs enfants. Je vous assure que certains n'hésitent pas à nous demander avec beaucoup d'effronterie de battre comme bon nous semble leurs gosses mal élevés. La vérité est amère. Certes, mais il faut la dire : on veut faire payer à l'enseignant la démission parentale des Algériens», relève pour sa part Hassan Belhabib, instituteur et directeur d'une école primaire dans la banlieue d'Alger. Sur un autre chapitre, pour des pédagogues et des sociologues, la violence des enseignants et de l'administration dans les écoles contre les enfants est le double héritage des pratiques qui existaient dans les écoles coraniques et coloniales. Rares sont, en effet, les enfants qui ont échappé à la spectaculaire «fallaqa», censée corriger les élèves timorés dans l'apprentissage du Coran. De même, les enfants scolarisés dans l'école coloniale se voyaient infliger par les instituteurs français, pétris d'idéologie coloniale qui considérait l'enfant algérien comme un indigène à civiliser, des corrections à coups de bâton. Cet héritage social a joué un rôle décisif dans la création de l'école algérienne après l'indépendance. Et pour cause : les familles algériennes, notent les pédagogues, étaient d'ores et déjà prédisposées à accepter le châtiment corporel comme une partie intégrante de la pédagogie éducative. Les parents ne pouvaient qu'approuver ces châtiments et la société était entièrement programmée pour concevoir l'institution scolaire comme un lieu de contrainte, et par glissement de sens un lieu de violence à l'égard de l'enfant. En effet, tout en dispensant le savoir, l'école doit inculquer aussi des règles de conduite, de discipline (se mettre en rang, ne pas parler en classe, ne pas se déconcentrer) et de respect. Mais, aujourd'hui, une nouvelle génération est née. Une génération qui aspire à la liberté, à l'émancipation, et qui a grandi dans la culture de la défense des droits de l'homme et le respect de la dignité humaine. D'autant plus qu'aujourd'hui, les spécialistes sont unanimes pour réfuter la violence comme un élément complémentaire aux pratiques pédagogiques. L'institution scolaire n'a pas à subir les travers de la société. Alors, l'élève algérien cessera-t-il, enfin, d'être le martyre de l'éducation ? Rien n'est moins sûr… A. S.