La campagne électorale pour la présidentielle, en Tunisie, a pris fin dans un climat délétère. Considéré comme historique, le second tour de la présidentielle opposera demain le président sortant Moncef Marzouki au favori Béji Caïd Essebsi, quelques jours après des menaces djihadistes. Près de 5,3 millions d'électeurs sont appelés aux urnes. Les Tunisiens de l'étranger ont commencé à voter dès hier, notamment en Algérie où ils sont nombreux. Pour clore leur campagne, les deux finalistes ont tenu des meetings en fin d'après-midi et en début de soirée sur l'avenue Bourguiba dans le centre-ville de Tunis, haut lieu de la «révolution», avant le «silence électoral» imposé pour aujourd'hui. Arrivé en tête au premier tour, l'ex-Premier ministre Béji Caïd Essebsi, 88 ans et chantre du «prestige de l'Etat», fait figure de favori. Son parti anti-islamiste Nidaa Tounès est arrivé premier aux législatives de fin octobre avec 86 sièges sur 217, devant les islamistes d'Ennahda (69 sièges). Le président Marzouki, 69 ans, se pose lui en défenseur des libertés et en rempart contre le retour de l'ancien régime que représente pour lui son rival, M. Caïd Essebsi ayant servi sous les présidents Habib Bourguiba et Zine El Abidine Ben Ali. La campagne a été acrimonieuse, chacun des deux finalistes dépeignant l'autre comme la pire option pour le pays. «Une guéguerre impitoyable où tous les coups ou presque sont permis», a jugé vendredi le quotidien Le Temps. M. Marzouki a ainsi assuré que le camp adverse se préparait à tricher au second tour, ce qui lui a valu un avertissement de l'instance électorale. M. Caïd Essebsi a de son côté lancé que son rival était le candidat des islamistes et même des «salafistes djihadistes», l'accusant également d'incompétence et d'avoir «ruiné» le pays avec ses alliés islamistes. Aucun débat n'a opposé les deux candidats, M. Caïd Essebsi s'y étant refusé malgré l'insistance de son rival qui l'y a même invité, non sans ironie, dans des affiches placardées à Tunis. Ce scrutin doit mettre fin à une transition mouvementée quatre ans après la révolution qui a obligé Ben Ali à la fuite en Arabie saoudite le 14 janvier 2011, soit 23 ans après son coup d'Etat contre le premier président tunisien Habib Bourguiba. Les législatives ainsi que le premier tour de la présidentielle le 23 novembre ont été salués comme «transparents» et «pluralistes» par les observateurs internationaux, une exception parmi les pays du printemps arabe qui, pour l'essentiel, ont basculé dans le chaos, la guerre ou la répression. Des menaces pèsent toutefois sur le pays, confronté depuis la révolution à un essor de la mouvance djihadiste. Dans une vidéo publiée mercredi soir, des djihadistes ralliés au groupe Etat islamique (EI) ont pour la première fois revendiqué l'assassinat de deux opposants anti-islamistes tunisiens en 2013, en menaçant de nouvelles violences. «Oui tyrans, c'est nous qui avons tué Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi», dit dans cette vidéo un djihadiste identifié comme Abou Mouqatel. Ce Franco-Tunisien, dont le vrai nom est Boubaker El Hakim selon les autorités, est recherché pour son implication dans ces deux assassinats en février et juillet 2013. «Nous allons revenir et tuer plusieurs d'entre vous. Vous ne vivrez pas en paix tant que la Tunisie n'appliquera pas la loi islamique», a-t-il menacé, en appelant les Tunisiens à «prendre les armes» et à prêter allégeance à l'EI, un groupe ultra radical qui sévit en Syrie et en Irak. Sans faire référence à cette vidéo, le gouvernement tunisien a affirmé jeudi que «les menaces n'empêcheront pas l'électorat tunisien de se rendre en masse aux urnes». Comme lors des précédents scrutins, des dizaines de milliers de militaires et policiers seront déployés. Le président de l'instance électorale, Chafik Sarsar, a reconnu l'existence de «dangers possibles et probables», tout en estimant qu'ils ne devaient «pas porter atteinte à l'ambiance des élections». Les autorités ont aussi annoncé la fermeture des principaux points de passage avec la Libye, en proie au chaos, de vendredi minuit jusqu'au 24 décembre. Avec l'élection du nouveau Président tunisien, les difficultés de nos voisins de l'est ne prendront pas fin. Le chômage, le terrorisme et l'instabilité aux frontières sont les grands chantiers qui attendent le futur élu. Les attentes sociales du peuple tunisien sont aussi grandes que les espoirs qui sont nés de la chute de l'ancien régime. K. B.