Le parcours militant de la revendication identitaire du poète et dramaturge Mohya est au cœur de la deuxième édition du Festival culturel de l'amitié à Boumerdès, organisé par l'association estudiantine Cirta de l'université M'hamed Bougara de Boumerdès et placé sous le patronage du Haut-Commissariat à l'amazighité. La manifestation a débuté dimanche dernier à la maison de la culture «Rachid Mimouni», en présence des compagnons de route du défunt Mohya, des personnalités du monde de la culture, à l'instar d'Omar Fatmouche, de Hamida Aït El Hadj, de Mourad Khan, de Younes Adli, de Youcef Aït Mouloud et d'une forte présence estudiantine. Le président de l'association Cirta a souligné que «l'objectif de la manifestation est de préserver nos valeurs ancestrales, de promouvoir le patrimoine culturel et de créer des espaces d'échange entre les différentes cultures». La manifestation, qui se poursuivra jusqu'à demain, comporte un programme riche et varié concocté par l'association Cirta, avec notamment, un concours de la meilleure représentation donnée par une troupe de théâtre d'expression amazighe, des conférences et des projections de films. Après une ouverture festive sous les rythmes des «Idabalen», la première journée de la manifestation a notamment été marquée par la représentation de la troupe d'Amizour, Béjaïa, avec une pièce intitule L'qahwa Algerian de Nordine. A travers une succession de quatre tableaux, la pièce plonge les spectateurs au cœur du marasme que vit la jeunesse algérienne. Elle est illustrée par la dualité qui oppose Da Lakhal, riche propriétaire d'un café, vétéran de la guerre de libération aux principes rigides, et son serveur l'Hocine, universitaire, contraint par le chômage d'accepter ce petit boulot. L'association estudiantine à caractère culturel et scientifique, Cirta, créée officiellement en 2003, œuvre, depuis, à la promotion de la culture et du savoir au sein de la wilaya et à l'université et à la création d'un lieu de réflexion et de débat. Ainsi, après le succès de la première édition du festival intitulée «Si Muhand U Hand… 100 ans déjà», l'association a décidé de rendre hommage au parcours exceptionnel du poète dramaturge Mohya. De son vrai nom Mohia Abdellah, il est né le 1er novembre 1950 à Azazga. Sa famille est originaire d'At Rbahdans, la célèbre tribu des At Wasif. Son père, tailleur de profession, s'est installé avec sa famille à Azzugan, avant de déménager à Tizi Ouzou. Le jeune Mohya, brillant élève au lycée Amirouche à Tizi Ouzou, décroche son bac en 1968. Il rejoint l'université d'Alger où il poursuit des études supérieures en mathématiques. C'est là qu'il investit le milieu du militantisme identitaire en suivant les cours de tamazight dispensés par l'écrivain Mouloud Mammeri à la faculté centrale d'Alger. Dans sa chambre d'étudiant, entre ses études logarithmiques et sa passion de la littérature universelle, il écrit ses plus beaux textes contestataires, qui seront interprétés par les grands noms de la chanson amazighe, à l'instar d'Idir, de Slimane Azem, de Ferhat Imazighen Imoula et du groupe Djurdjura. Après avoir obtenu sa licence de math sup. en 1972, il participe à un concours qui lui permet de s'inscrire à l'Ecole d'ingénieurs en hydraulique en France. De Strasbourg, il rejoint Paris où il intègre le Groupe d'études amazighes créé à l'Université Paris VIII. Il sera, un des animateurs des revues publiées par ce groupe : Bulletin d'études amazighes (BEA) puis Tisuraf. Mohya est surtout connu pour les adaptations et traduction en tmazight d'un grand nombre de poésies et textes de chansons, de contes et nouvelles tirés notamment des œuvres de Brecht, de Prévert, de Clément, de Potier, de Vian, de Béranger. Il est aussi connu dans le milieu du quatrième art pour ses brillantes traductions en langue amazighe d'une vingtaine de pièces, dont En attendant Godot de Beckett, l'Exception et la Règle de Brecht, la Jarre de Pirandello, et le Tartuffe de Molière. Après une vie riche et prolixe en œuvres littéraires, Mohya est décédé suite à une tumeur au cerveau à l'âge de 55 ans à la maison médicale Jeanne-Garnier, à Paris, loin des montagnes de sa Kabylie natale à laquelle il était viscéralement attaché. Dans une interview qu'il avait accordée à la revue Tafsut en 1985, Mohya avait déclaré : «Dans le contexte de l'Algérie d'aujourd'hui, on constate, premièrement, qu'en dépit de toutes les vicissitudes de l'histoire, la sensibilité à la langue maternelle est peut-être plus vive qu'elle ne l'a jamais été ; deuxièmement, que, pour la majorité des Algériens, la langue maternelle est toujours, quoi qu'on dise, la langue la mieux maîtrisée. Par conséquent, la réponse qui serait apportée à ce défi est pour elle, pourrait-on dire, une question de vie ou de mort.» S. A.