La salle El Mouggar a accueilli jeudi dernier la projection en avant-première du long métrage de fiction Krim Belkacem, réalisé par Ahmed Rachedi. Le film, de 150 mn, relate le parcours d'une des figures marquantes de la Guerre de libération nationale, depuis son retour en octobre 1945 de la Deuxième guerre mondiale à l'âge de 23 ans jusqu'à la signature des accords d'Evian. Le film est produit par le ministère des Moudjahidine, sur un scénario coécrit par Ahmed Rachedi, Boukhalfa Amazit et le commandant Azzeddine. Les premières images illustrent le retour de Krim Belkacem dans son village natal, Oued Ksari, où son père était garde-champêtre. De retour dans la demeure familiale, après avoir été enrôlé dans les rangs de l'armée française durant la Deuxième guerre mondiale, il refuse de cautionner la politique coloniale en suivant le même chemin que son père et son cousin. Au fil des séquences, le film met l'accent sur la révolte de ce jeune algérien contre le colonialisme français et son éveil politique jusqu'à son engagement dans les rangs du Parti du peuple algérien (PPA). Puis le rythme du film augmente en relatant les principales étapes du parcours du militant intimement lié à l'histoire du nationalisme algérien dont il était un témoin et un personnage clef jusqu'à l'indépendance de l'Algérie. Militant actif, Krim Belkacem est poursuivi en 1947 pour atteinte à la sûreté de l'Etat et rejoint le maquis avant d'être condamné à mort pour une embuscade contre le caïd, son propre cousin. Dans l'une des séquences du film, lors de sa rencontre en mars 1954 avec Didouche Mourad pour la préparation du déclenchement de la Guerre de libération nationale le 1er novembre, il réplique : «On ne vous a pas attendus pour faire la révolution.» Le film relate également les luttes intestines au sein du (PPA-Mtld) et la rupture de Krim Belkacem avec les messalistes, pour rejoindre le groupe des six chefs du Front de libération nationale (Boudiaf, Ben Boulaïd, Didouche, Bitat, Ben M'hidi) avant de prendre la tête de la région de Kabylie, dénommée la wilaya III. L'homme des combats armés et politiques Les cinéphiles peuvent ainsi suivre la préparation du 1er novembre, les batailles au maquis, mais également la fameuse opération «Oiseau bleu», une tentative de créer un contre-maquis clandestin composé d'Algériens de la région, armés et financés par l'armée coloniale, déjouée par Krim Belkacem et Amar Ouamrane et qui aura ainsi permis d'armer 1 500 moudjahidine. Le film met également en exergue les personnalités de Amar Ouamrane, incarné avec brio par Ahmed Rezaig, et Abane Ramdane, talentueusement interprété par Mustapha Laribi. Le long métrage relate ainsi les préparatifs du Congrès de la Soummam, les difficultés, de réunir tous les responsables des zones, et la fameuse «affaire de la mule», l'organisation et la tenue du Congrès de la Soummam, événement majeur ayant permis la structuration de la révolution par la création du Cnra (Conseil national de la révolution) et du CCE (Comité de coordination et d'exécution). Lors de cette séquence, des répliques clefs sont clamées telles : «la révolution algérienne, n'exclut personne», «le secret de la réussite de la révolution est la responsabilité collective, il n'y a pas de chef, c'est une direction collégiale». Le long métrage relate également les frictions et les conflits en Tunisie ayant opposé Krim Belkacem, Lakhdar Bentobal et Abdelhafidh Boussouf à Abane Ramdane avant sa mort en 1957. Dans l'une des séquences du film, Frantz Fanon brandit la fameuse Une d'El Moudjahid, avec la photo de Abane Ramdane «mort au champ d'honneur» en demandant «la vérité sur ce mensonge, au nom de l'amitié et la fraternité», et Krim Belkacem de répliquer : «L'histoire nous jugera.» Dans la dernière partie de ce long métrage est mis en exergue le rôle politique de Krim Belkacem au sein du Gouvernement provisoire de la République algérienne (Gpra), où il occupait la fonction de ministre de la Défense, ainsi que son rôle majeur lors des négociations d'Evian. Lors de la dernière séquence, il y aura cette phrase mythique inscrite désormais dans l'histoire, prononcé par Krim Belkacem : «Mission accomplie.» Lever le tabou des mésententes durant la Guerre de libération À travers cette nouvelle production, Ahmed Rachedi a apporté un nouveau souffle dans ce film consacré au héros de la Guerre de libération nationale, en redonnant une dimension humaine à ses personnages, tant sur le plan du caractère, de la personnalité courageuse et forte que sur leurs erreurs en tant qu'êtres humains. Il a également mis le doigt sur un sujet longtemps tabou dans ce genre de film, celui des frictions et conflits ayant ponctué l'histoire du mouvement national et opposé parfois les architectes de la révolution algérienne. Techniquement, le film a tenté de trouver un équilibre entre des séquences intimistes, celles des batailles et de la vie au maquis, ainsi que la beauté des paysages tant citadins que naturel. Les acteurs qui ont incarné les personnages principaux ont relevé le défi de donner vie à de grands noms de l'histoire de l'Algérie. Il est à noter quelques approximations dans certaines séquences de reconstitution des décors et de scènes d'époque, mais le long métrage a le mérite de jeter un véritable pavé dans la marre et de soulever des questions qui sont longtemps restées tabou dans le cinéma algérien. Lors du débat qui a suivi la projection-presse, M. Rachedi a d'emblée souligné qu'«il s'agit avant tout d'une œuvre de fiction et non pas une œuvre historique sur Krim Belkacem». Interrogé sur le fait que la fiction s'arrête au 17 mars 1962, date de la proclamation du cessez-le-feu, et n'aborde pas la mise à l'écart de Krim Belkacem après l'indépendance et sont assassinat en 1970 alors qu'il était exilé en Allemagne, le réalisateur précise que le film a été coproduit avec le Centre national d'études et de recherche sur le mouvement national et la révolution du 1er novembre 1954, dont le cahier des charges stipule que les œuvres doivent aborder le mouvement national pour la libération de l'Algérie et s'arrêter à l'indépendance. La vie de Krim Belkacem après l'indépendance mériterait une œuvre à part, et il serait intéressé de la faire si les moyens financiers étaient disponibles, dira-t-il. Il a également souligné qu'il a déposé plusieurs projets concernant la Guerre de libération nationale et des personnalités historiques au niveau du ministère de la Culture et de la Télévision algérienne, mais que pour le moment ils n'ont eu aucune réponse. Concernant la séquence où la liquidation de Abane Ramdane par ses frères d'armes était suggérée, le réalisateur soulignera que «Abane Ramdane avait un projet de société différent des autres. Dans le film, il s'agissait aussi de montrer cette dimension humaine des héros de la Guerre de libération nationale, avec leurs erreurs et leurs ambitions politiques. Faute de preuve tangible et je me suis personnellement déplacer jusqu'à Tétouan au Maroc, le lieu où Abane Ramdane a été aperçu vivant pour la dernière fois, en quête de preuves et je n'ai rien trouvé. Mais dans le film on laisse entendre la mésentente qu'il y avait entre le politique et le militaire ainsi que les conflits pour le pouvoir». Quant au commandant Azzedine, il dira : «Des erreurs terribles ont été commises durant la Guerre de libération nationale et même après, puisque Krim Belkacem que j'adule comme le véritable héros qu'il était, a été condamné à mort par l'Etat algérien indépendant. Concernant Abane Ramdane, ce n'est pas seulement la faute des 3B mais la responsabilité de sa mort incombe aussi à d'autres figures de la Guerre de libération nationale qui étaient en prison et avaient des ambitions et des projets de société différents.» Jamel Yahyaoui, directeur du Centre national d'études et de recherche sur le mouvement national et la révolution du 1er novembre 1954, dira que le ministère des Moudjahidine s'attèle a multiplier les recherches et les projets sur les personnages de la Guerre de libération nationale, avec le souci de redonner la dimension humaine aux héros et lever les pans sur certaines parties obscures de notre histoire. Il a également annoncé que le film Krim Belkacem sera également diffusé à la télévision dans le format d'une série de plusieurs épisodes d'une durée de 9 heures. Il a également prévu la projection sur grand écran du film sur le colonel Lotfi réalisé par Ahmed Rachedi et que de nombreux autres projets sont en cours de réalisation. S. B.