La Libye ne sera pas un nouveau foyer de tension. Elle l'est depuis quatre ans, plus exactement au terme d'une insensée équipée de l'Otan qui devait se terminer par une plongée du pays dans l'anarchie et le chaos. Le foyer de tension va seulement être ravivé par l'entrée en lice d'un acteur pressé de s'implanter sur une terre anéantie et devenue quasiment «res nullius», un bien sans propriétaire légal. En somme, un beau et vaste territoire offert comme un don de Dieu à l'expansionnisme de l'EI, l'Etat islamique dont la création a été encouragée par des puissances qui, aujourd'hui, le combattent. L'ancienne Jamahiriya de Kadhafi présentait une assise idéale pour l'organisation terroriste islamiste. Depuis au moins un an, elle y gagne au fil des mois du terrain, stimulée par le même carburant, objet de sa convoitise, les puits de pétrole et les revenus qu'elle en tirerait. Daech, sans le faux pas qu'il vient de commettre, aurait pu continuer à creuser son trou tranquillement, surtout qu'il a l'armement et la capacité de se défendre contre les autres groupes armés, islamistes ou non, qui infestent le paysage libyen. Seulement voilà, grisé par sa propre propagande et ne pouvant résister à son instinct de mort terrorisant, il a trébuché. L'exécution bestiale et théâtralisée des 21 coptes égyptiens, de simples pauvres travailleurs obligés de gagner leur vie en s'exposant à la mort, cette exécution a sonné une urgence et rendu compte de la réalité de la situation mieux que ne le feraient tous les rapports et analyses diplomatico-sécuritaires. Un faux pas, donc, qui a servi d'accélérateur à une situation en besoin de vite évoluer. L'Egypte a réagi avec une célérité qui sent la préparation : ses avions, dans les heures qui ont suivi la diffusion de la vidéo de l'abominable crime, ont mis hier le cap sur les côtes libyennes où ils ont bombardé des cibles de Daech. L'entrée en lice du pays le plus peuplé du monde arabe et doté d'une grande armée assez professionnalisée va profondément changer la donne. D'autant plus qu'elle intervient sur une toile de fond d'atermoiements diplomatiques et d'absence de résultats du dialogue entre belligérants initié par l'ONU. Mais ce contexte d'immobilisme et d'attentisme n'a pas empêché l'expression de «disponibilités» manifestes et connues pour une intervention militaire sous couvert de légalité internationale. L'Egypte à l'Est qui vient de sauter le pas, l'Italie au Nord prête à agir, une frontière algérienne fortement militarisée à l'Ouest, la France qui s'était déjà exprimée pour une intervention armée... sont autant d'éléments qui devraient, dans les tout prochains jours, impulser un chassé-croisé diplomatique en vue de formaliser une riposte concertée à la présence de Daech en Libye, à seulement 350 km des côtes italiennes et de grands boulevards dans le désert vers le Sahel toujours exposé aux risques d'une déstabilisation, islamiste elle aussi. Enfin, même si un chaos persistant est ce qui caractérise le mieux actuellement la situation de la Libye, les causes et les effets ne doivent pas être inversés. L'implantation de Daech dans ce pays n'est pas la cause de ce chaos, mais une de ses conséquences parmi les plus graves. Une intervention internationale n'aura donc de sens que si, dans ses objectifs, sont inclus un désarmement des groupes armés qui défient l'autorité du gouvernement reconnu et issu d'élections législatives régulières, une neutralisation durable des terroristes de l'Etat islamique et une destruction des nombreux arsenaux à ciel ouvert d'où l'on vient s'approvisionner de loin. A. S.