Les images apocalyptiques des terroristes de Daech démolissant, à coups de massue, des antiquités assyriennes vieilles de plus de 2000 ans à Mossoul (Irak), ont choqué le monde entier. L'Unesco a vivement réagi en sollicitant l'intervention du Conseil de sécurité de l'ONU pour sauver cet inestimable trésor classé au patrimoine universel. Des chefs d'Etat occidentaux se sont pareillement offusqués en faisant le parallèle avec le dynamitage des Bouddhas géants de Bamiyan (Afghanistan) par les talibans en 2001. De grandes institutions culturelles, des artistes de renommée mondiale et journalistes de monde entier se sont également joints à cet énorme élan dénonciateur, en rappelant au passage la récente destruction, en 2011, de piles de vieux manuscrits et la démolition des vieilles mosquées à Tombouctou (Mali) par les hordes d'Al-Qaïda. Ce que les médias n'ont pas dit, en tout cas pas suffisamment, c'est que les partisans de Daech bradent le patrimoine irakien et syrien sur le marché parallèle depuis des années déjà. La mise en scène du musée de Mossoul ne viserait, selon des spécialistes irakiens, qu'à masquer les réflexes «colonialistes» de ce qu'on appelle l'Etat islamique. «On a détruit uniquement quelques chef-œuvres classés au patrimoine de l'humanité qui ne peuvent être vendus sur le marché. Les caves du musée de Mossoul débordent de trésors fraîchement déterrés et qui attendent leur classification. C'est là que les criminels de l'EI vont se servir pour faire leur business», regrette un célèbre archéologue irakien. Le musée est situé au cœur de la province de Ninive, au nord de l'Irak, qui dispose d'un patrimoine religieux extrêmement riche. La vraie question consiste à savoir quels sont les clients de l'EI ? De quelle éthique peuvent-ils se prévaloir ? Lors de l'occupation de l'Irak par les américains en 2003, les musées irakiens (à Baghdad comme dans le reste des grandes villes) ont été systématiquement pillés. La dénonciation était, alors, curieusement molle, même si le préjudice subi était peut-être un peu plus lourd. Cette culture du vol des œuvres patrimoniales est fondamentalement un héritage colonialiste. A ce jour encore, les pays anciennement colonisés réclament, sans succès, la restitution de leurs biens culturels en se référant aux principes énoncés par l'Unesco au sortir de la Seconde grande guerre et applicables aux spoliations d'œuvres pratiquées à grande échelle par l'Allemagne nazie. Il est utile de citer quelques exemples pour illustrer la question. Au lendemain de son indépendance (1962), l'Algérie a demandé à la France la restitution de plus de 300 œuvres appartenant au musée des beaux arts d'Alger au titre de l'intégrité de son patrimoine culturel. La France n'a pas coopéré. En 2012, à l'occasion du cinquantenaire de l'indépendance, l'Algérie a aussi sollicité en vain la restitution du Baba Merzoug, un canon mythique de la marine algéroise de l'époque Ottomane, aujourd'hui installé à Brest (France). Le même refus a été opposé à la remise de 37 crânes d'honorables résistants algériens également conservés en France. L'Algérie n'est pas seule dans ce combat. Le Congo interpelle régulièrement la Belgique pour se réapproprier ses biens culturels. Le Nigéria fait autant à l'endroit du Royaume-Unis. L'Egypte court toujours après la Grande-Bretagne et la France pour lui rendre des pièces de très grande valeur. La Grèce revendique aussi de grandes œuvres aujourd'hui exposées dans les grands musées européens (France, Grande Bretagne, Italie...). Même l'Allemagne (ironie du sort) réclame présentement aux Alliés (américains, russes et anglais, principalement) de lui remettre les biens culturels volés au lendemain de la défaite nazie en 1945. Alors, ceux qui achetaient hier aux colonisateurs ne seraient-ils pas enclins à s'approvisionner aujourd'hui chez Al- Qaïda, Daech et leurs dérivées ? Le marché parallèle des œuvres d'art est boosté par les grands musées et les galeries célèbres. La prise de conscience des opinions publiques est la seule lueur d'espoir dans ce bazar. Dans la conscience de tous les peuples l'art est perçu comme un liant humain et un facteur de rapprochement. Ces opinions publiques peuvent un jour presser leurs gouvernements au respect des règles éthiques en la matière. Les musées et les galeries seraient un peu plus clean. Dès lors, le trafic d'œuvres d'art baisserait de lui-même. En attendant, chaque pays doit veiller sur son patrimoine à travers sa restauration et sa valorisation. L'Algérie, malgré les efforts accomplis ces dernières années, a encore beaucoup de pain sur la planche. Les Casbah, les vieilles villes et les vieux ksour menacent partout ruine. L'Etat comme les particuliers devraient réagir sans tarder. C'est de l'identité du pays qu'il s'agit. K. A.