Le patrimoine, matériel et immatériel, est la principale source de l'identité. Il transmet les traditions, les coutumes, les valeurs et les savoirs d'une société. Sa sauvegarde est fondée sur la préservation de la personnalité et de l'authenticité d'un peuple et d'une culture face au rouleau compresseur de la mondialisation. Le patrimoine urbain et architectural requiert, à cet égard, une importance capitale. Partout dans le monde, la recherche de qualité en matière d'urbanisme prend aujourd'hui appui sur la reproduction et l'amélioration de l'héritage ancien. Représentation en relation avec l'animation urbaine, la lutte l'anarchie et la pollution. A cet égard la ville ancienne apparaît comme un modèle plein d'enseignements qui oriente le débat sur la ville future vers la recherche d'espace clos, l'échelle humaine, l'interpénétration des fonctions, la diversité socioculturelle, et la densité. Cette réflexion ne se situe pas seulement au niveau morphologique, mais également sur le plan économique culturel et social. Les festivités du mois du patrimoine (18 avril-18 mai) ont été justement placées cette année sous ce thème précieux de l'architecture et de l'urbanisme. L'occasion a été marquée par la remise de trois distinctions de la présidence de la République aux meilleurs projets de l'année 2014. Instaurés depuis 2011, ces prix récompensent, évidemment, les œuvres qui associent au mieux modernité et tradition ancienne du peuple algérien. L'objectif étant d'inciter l'architecte à persévérer en recherchant dans le patrimoine ancestral des solutions viables aux grands problèmes du présent. En plus de l'esthétique de l'œuvre, d'autres critères culturels et techniques sont également considérés par les jurys. Par la même occasion, un décret exécutif a été promulgué par le Premier ministre pour inscrire sur le fronton des bâtisses, les plus belles et les plus caractéristiques, les noms des architectes les ayant conçues. Cette autre marque d'honneur vise à redonner à l'architecte algérien toute la confiance requise pour ressusciter et développer le style mauresque qui distingue la région du Maghreb et qui avait atteint son apogée en Andalousie. Il s'agit d'une saine tradition qu'il convient de sauvegarder pour rendre hommage au génie des bâtisseurs algériens de tous les temps. Cet intérêt croissant des pouvoirs publics pour l'architecture et l'urbanisme est porteur de grands espoirs. On a longtemps importé, d'Orient ou d'Occident, des formes et des conceptions qui n'étaient pas les nôtres. On vit très mal dans ces bâtiments et les conséquences sont dramatiques en matière d'harmonie individuelle et sociale, d'atteinte à l'environnement, de conflits de voisinage, et de fléaux sociaux. Du coup, on réalise qu'on doit, désormais, construire pour des Algériens et non pas pour des Français, des Russes ou des Pakistanais. Un immeuble, comme un homme, a une identité. Il s'agit donc de bâtir algérien et pour cela, on doit se ressourcer dans notre propre patrimoine. Cela ne signifie pas cependant l'enfermement sur soi et le mépris du progrès. Car, si le socle doit être authentique, le créateur à toute la liberté de s'inspirer d'autrui pour étoffer son œuvre, l'inscrire dans la modernité et l'équiper de commodités nouvelles. Inutile de répéter qu'il s'agit d'un travail de recherche et de prospection qui allie harmonieusement tradition et modernité. Rachid Sidi-Boumediene, intellectuel algérien qui a longtemps travaillé sur ce sujet, résume ainsi l'origine de cette quête d'authenticité : «C'est en Algérie, dans une somme complexe de productions culturelles [...], que se situe le problème de la patrimonialisation en architecture. Dans tous les cas, les définitions officielles sont proposées comme un ressourcement opposé à l'aliénation coloniale, il s'ensuit que les paramètres de l'authenticité ont été recherchés dans les périodes qui ont précédé son intrusion et en particulier dans ce qui est considéré comme l'âge d'or d'une civilisation, d'où une recherche axée sur les œuvres significatives, dont, pour l'architecture, celle des édifices à caractère monumental (mosquées, palais, remparts, etc.) qui sont dotés d'ailleurs d'une forte charge symbolique.» Si la notion de patrimoine urbain et architectural a émergé en Algérie par opposition à la colonisation, la menace qui pèse aujourd'hui sur cet héritage est autrement plus dangereuse. La mondialisation, agissant comme un gigantesque courant de standardisation, œuvre au nivellement des particularismes et de la diversité culturelle. Ce n'est plus l'occupant-bâtisseur, c'est soi-même qui concrétise les vœux enfoui du «dominant-prédateur». Alors, construire algérien s'apparente presque à un acte héroïque de résistance. K. A.