Scientifiques, responsables culturels et journalistes, partout à travers le monde, sont unanimes à souligner l'importance du patrimoine, matériel et immatériel, dans toute œuvre de développement durable. Même si les opérateurs économiques et les pouvoirs publics locaux, pour de vulgaires considérations budgétaires ou de rentabilité immédiate, ne semblent pas très emballés dans ce sens, les académiciens et les médias ne se lassent pas d'insister sur la combinaison de multiples enjeux (urbains, économiques, sociaux, culturels et politiques) qui sous-tendent la valorisation de l'héritage culturel authentique. Le patrimoine, comme substrat identitaire et mémoire civilisationnelle, transmet les traditions, les coutumes, les valeurs, les métiers, les savoirs séculaires et le savoir-vivre d'une société. Sa sauvegarde et sa transmission sont fondées sur la crainte de perte de mémoire collective face à la mondialisation. Selon le sociologue Henri-Pierre Jeudy, «la référence renouvelée à l'identité, par la patrimonialisation, semble s'opposer au phénomène de mondialisation, comme une ultime défense contre le risque de confusion et de perte des repères culturels». En effet, dans ce monde mouvant, constamment soumis à un flux ininterrompu de photos et de vidéos, le diktat de l'image menace des pans entiers de la diversité universelle. Le rouleau compresseur de l'uniformisation fait progressivement le lit d'une seule culture hégémonique, occidentale et prétendument moderne, sur les décombres des civilisations anciennes. À défaut d'un sursaut salvateur, les fabuleux trésors de l'humanité céderont devant ce puissant courant «prédateur». Cependant, la sauvegarde du patrimoine nécessite beaucoup de recherche, de finesse et de créativité pour éviter l'enfermement et la folklorisation. Les legs anciens ont grandement besoin d'un effort d'actualisation et de renouvellement pour les mettre au goût du jour. Les expressions artistiques d'antan doivent absolument s'adapter au moment présent à travers une renaissance stylistique et esthétique qui répondrait aux attentes des nouvelles générations. D'aucuns estiment qu'il faut préserver la trame originelle en introduisant des habillages, des formes, des couleurs et des sonorités modernes pour gagner la sympathie du jeune public. La théorie de l'évolution, là aussi, s'impose pour s'adapter et résister aux temps. Autrement, la reproduction têtue et instinctive du traditionnel, pour soi-disant en garder la pureté, est contraire à la réalité. Car, l'homme se distingue justement de l'animal par sa faculté à progresser, à changer et à évoluer en fonction de son environnement. Nos aïeux, s'ils étaient encore vivants aujourd'hui, auraient suivi le cours de leur destinée sans se tromper de chemin. Voilà, il s'agit de poursuivre sa propre route en faisant preuve de vitalité, d'intelligence et de prédisposition au débat avec, en guise de boussole, cette quête humaine de perfectionnement et d'accomplissement. Dans la musique, la danse, la mode ou le design, il est question de garder l'âme de l'œuvre ancienne en introduisant des emprunts, des motifs, des couleurs et des formes du jour. En matière de musiques traditionnelles, par exemple, tout en gardant le rythme et l'harmonie d'une chanson, on peut agir sur l'instrumentation, la mélodie, la sonorisation et le texte. Dans le domaine de l'urbanisme, en sauvegardant les formes architecturales et d'autres caractéristiques typiques, on peut introduire de nouveaux matériaux, agir sur les dimensions et le confort pour inscrire les nouvelles réalisations dans la modernité. On nous dira que c'est plus facile à dire qu'à faire. En effet, cette œuvre d'actualisation, comme nous l'avons souligné précédemment, exige beaucoup de savoir et de doigté. Il est impératif pour cela de promouvoir les écoles et les instituts de formation dans les métiers de l'art. Un intérêt particulier devrait être accordé à l'artisanat à travers l'encouragement des «anciens» à former et à encadrer les jeunes. Il y aussi un grand effort à faire en matière de diffusion et de promotion du produit culturel. Cela passe évidemment par un marché de l'art avec tous ses attributs en matière d'infrastructures, d'acteurs dynamiques, d'espaces d'échanges et de contacts. En somme, il s'agit d'une dynamique d'ensemble qui implique tout le monde : pouvoirs publics, promoteurs et acteurs culturels, artistes, artisans et grand public. K. A.