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Déflation : les options restreintes de la BCE
Mario Draghi s'est efforcé de rassurer les marchés
Publié dans La Tribune le 24 - 01 - 2016

S'il le faut, il frappera fort. Encore. Jeudi 21 janvier, Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), s'est efforcé de rassurer les marchés, qui enchaînent les journées noires depuis le début de l'année. Si l'institution a laissé son principal taux directeur inchangé (0,05%), l'Italien s'est montré très clair : la BCE «ne capitule pas» face à la faiblesse de l'inflation, «elle a le pouvoir, la volonté et la détermination d'agir». Surtout, il n'y a «pas de limite à l'utilisation des instruments dont elle dispose». Pour preuve, l'institution pourrait «réévaluer et éventuellement revoir» sa politique monétaire lors de sa réunion du 10 mars.
Si d'ici six semaines, les indicateurs économiques, en particulier l'inflation anticipée, ne se sont pas redressés, la BCE dégainera donc de nouvelles mesures. Une annonce bien accueillie par les marchés, qui ont aussitôt repris quelques couleurs. Jeudi 21 janvier, la Bourse de Paris a ainsi clôturé en hausse de 1,97%, Londres de 1,77%, Francfort de 1,94%, tandis que Milan a bondi de 4,2%. A Wall Street, le S&P 500 a repris un modeste 0,52%, tandis que vendredi Tokyo s'est accordé un rebond de 5,88%. Une fois de plus, le «Dottore Draghi» a su trouver les bons mots pour éteindre les angoisses de la planète finance. Pour l'instant du moins.
« Les risques baissiers ont augmenté »
Le 3 décembre, l'institut monétaire avait déjà agi en prolongeant de septembre 2016 à mars 2017 son programme de rachats de dettes publiques et privées (le quantitative easing en anglais, ou QE), aujourd'hui de 60 milliards d'euros mensuels. Il avait également baissé son taux de dépôt de -0,2 à -0,3%, une mesure qui équivaut à taxer les banques pour les liquidités qu'elles laissent à court terme dans ses coffres, dans l'espoir qu'elles les prêtent plutôt à l'économie.
Seulement voilà : depuis décembre, les prix du pétrole ont chuté de 40%, passant de 52 dollars à moins de 30 dollars le baril de brent. Ce qui tirera encore à la baisse l'inflation, déjà retombée à 0,2% en décembre. «Les risques baissiers ont augmenté», a reconnu M. Draghi, citant la volatilité des matières premières et les incertitudes entourant la croissance des pays émergents.
Une inquiétude d'ailleurs partagée par Christine Lagarde, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI). La Chine «est engagée dans une série de transformations économiques», une «tâche colossale», a-t-elle déclaré jeudi 21 janvier au Forum économique mondial de Davos (Suisse), ajoutant que les dirigeants chinois avaient «un problème de communication» pour expliquer leur stratégie en la matière. «Le genre d'incertitudes que n'aiment pas les marchés.»
Les marchés auront les yeux rivés sur la BCE jusqu'au 10 mars
Une chose est sûre : ces derniers auront les yeux rivés sur la BCE jusqu'au 10 mars. Avec le risque que le scénario observé fin 2015 se reproduise. En laissant entendre à l'avance qu'elle agirait en décembre, l'institution avait déclenché des attentes disproportionnées chez les investisseurs. Qui avaient finalement jugé les mesures prises trop timides. «Si cette fois encore la BCE déçoit, sa crédibilité sera menacée», juge Johannes Gareis, économiste spécialiste de la zone euro chez Natixis.
Draghi pris à son propre piège
En d'autres termes, Mario Draghi risque de se prendre à son propre piège. En promettant de frapper fort, il a un peu calmé les marchés. Mais, s'il ne dégaine pas des mesures aussi ambitieuses que promis, les Bourses sombreront à nouveau. Or, l'Italien a beau répéter qu'il n'a «pas de limites», les options dont il dispose sont plutôt restreintes, jugent les économistes. D'abord, parce qu'il devra convaincre l'ensemble du conseil des gouverneurs de la nécessité d'agir encore. «Pas gagné : la Banque centrale allemande ne veut pas d'augmentation des rachats de dettes souveraines, de peur que cela incite certains Etats à laisser filer les déficits», confie une source proche de l'institution.
Mais, surtout, M. Draghi n'a plus vraiment de tour de magie en réserve. Pour faire plus, il peut toujours augmenter le volume du QE, pour le passer de 60 à 80 milliards d'euros par mois. Ou encore élargir l'éventail d'actifs qu'il rachète, par exemple, à de nouvelles catégories d'obligations d'entreprises. «Il peut également baisser encore le taux de dépôt de -0,30% à 0,40%», ajoute Jennifer McKeown, chez Capital Economics. Quelques outils, mais rien de spectaculaire, en somme. Et pour cause : après avoir multiplié les innovations pendant la crise, la BCE, comme l'ensemble des banques centrales, est arrivée au bout de ses possibilités.
Reste une question-clé : quels effets de telles mesures, même modestes, auraient-elles sur l'économie ? Lors de son intervention, M. Draghi a assuré à plusieurs reprises que sa politique est efficace. Mais les économistes sont de plus en plus nombreux à douter. «La BCE joue avec le feu», estime Patrick Artus, de Natixis. «Ses injections de liquidités n'ont aucun effet sur l'anémie de l'inflation, qui tient autant au bas coût du pétrole qu'à des causes structurelles qui lui échappent.» En revanche, les liquidités injectées pour racheter des dettes publiques créent une volatilité excessive et ravageuse pour les Bourses et les monnaies émergentes…
L'Italien l'a d'ailleurs reconnu : la politique monétaire ne peut pas faire de miracle. Pour que la croissance revienne, elle doit s'accompagner de «mesures structurelles, notamment pour améliorer l'environnement des affaires», «augmenter la productivité» et «doper la création d'emplois». En outre, les politiques budgétaires doivent elles aussi être «plus compatibles avec la croissance», a-t-il insisté. Un vœu qu'il répète à chaque réunion depuis des mois et qu'il a de nouveau formulé vendredi 22 janvier, lors d'une intervention au Forum de Davos…
M. C.


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