Dernier chahid à avoir son coin de rue et de mémoire à Alger, Henri Maillot. Avant lui, place faite, dans tous les sens du terme, aux deux autres héros de notre guerre de Libération, Maurice Audin et Fernand Yveton. Place Maurice Audin, entrée du Tunnel des Facultés, sur un mur mitoyen, une plaque commémorative. Elle représente, avec image et texte en arabe et en français, Maurice Audin. Donc, pour Henri, Fernand et Maurice, des gestes inédits dans un pays où la mémoire de la reconnaissance et la culture de la gratitude sont généralement une abstraction. A l'égard de tous, de tardives mais de bien louables initiatives. Car, soyons indulgents, il n'est jamais trop tard pour se souvenir de ces Algériens non musulmans, martyrs de la guerre d'indépendance de leur pays. A commencer par le plus connu d'entre eux, Maurice Audin, un prof de maths qui fut une équation subversive pour le pouvoir colonial. Torturé à mort par les parachutistes du général Massu, il est assassiné le 21 juin 1957. La disparition de l'auteur de la thèse de doctorat «L'Equation linéaire dans un espace vectoriel», soutenue post mortem et in absentia, est toujours une équation insoluble pour la France. En juin 2007, sa veuve Josette écrit au président Sarkozy pour lui demander de faire la lumière sur la disparition de son mari. Sa requête est restée lettre morte. Le 1er janvier 2009, sa fille Michelle refuse le grade de chevalier de la Légion d'honneur. Elle veut toujours résoudre l'équation à plusieurs inconnues que constitue l'assassinat de son père. En 1960, le peintre Khadda lui dédie une toile intitulée sobrement «Hommage à Maurice Audin», conservée depuis 1991 au Musée des Beaux-arts d'Alger. La 38e promotion de l'ENA d'Alger, de juin 2005, porte également le nom du chahid. Maurice Audin a un frère d'armes et de conviction patriotique, un autre Maurice, Laban de son nom, originaire de Biskra. Ce Maurice est mort un autre jour de juin, dans le maquis, près de Béni Rached, du côté de Khémis Miliana. Il est mort en martyr en même temps qu'un autre grand moudjahid, l'aspirant Henri Maillot, le 5 juin 1956. Le lendemain, le journal colonial L'Echo d'Alger écrivit : «L'aspirant félon maillot et Laban sont abattus près d'Orléansville. Deux traitres accompagnaient les assassins de quatre Français.» Juste après sa désertion avec un camion chargé de 132 mitraillettes, 140 pistolets, 57 fusils d'assaut et un lot de grenades, l'aspirant Maillot qualifiait l'insurrection du premier novembre 1954 de «lutte d'opprimés sans distinction d'origine contre les oppresseurs et leurs valets, sans distinction de races». Ce fils de Clos-Salembier (El Madania), est condamné à mort le 22 mai 1956. Henri Maillot et Maurice Laban, membres d'un commando de l'ALN, sont surpris par les miliciens du bachagha Boualem, appuyés par des soldats français. Ils sont morts, côte à côte. Moins connu des Algériens que Maillot et Audin, Maurice Laban est un personnage romanesque digne de Pour qui sonne le glas d'Ernest Hemingway. Ce fils de paysans pauvres a vécu le Front populaire en France, la guerre civile d'Espagne, la Seconde guerre mondiale et la guerre d'Algérie. Syndicaliste CGT, internationaliste et anticolonialiste, il s'opposa vigoureusement au PCF lorsque le parti de Maurice Thorez prit son tournant colonial, estimant que l'indépendance du peuple algérien, toutes origines confondues, faisait le jeu d'Hitler et de Mussolini. C'était le temps où ce Maurice du PCF, pas le Laban de Biskra, estimait que «le droit au divorce, ne signifie pas l'obligation de divorcer». Laban combattit aussi le pouvoir tyrannique de Bengana, bachagha des Zibans et tristement célèbre supplétif colonial. Mostefa Ben Boulaid fit appel à lui pour en faire un adjoint. Le PCA s'y opposant, Maurice Laban rejoignit alors Henri maillot dans l'Ouarsenis. Au Panthéon des martyrs algériens, il y a Maurice Audin, Maurice Laban, Henri Maillot, mais aussi Fernand Yveton, autre fils du Clos-Salembier. Yveton, voisin et ami d'enfance d'Henri Maillot. Frère en martyrologe d'Ahmed Zabana et unique Algérien d'origine européenne, à être guillotiné. Il le fut parmi les 198 prisonniers politiques condamnés à mort et dont François Mitterrand avait refusé la grâce. La tête de ce poseur de bombe fut coupée le 11 février 1957, après des séances de torture au Commissariat central d'Alger. Son bourreau est un autre Maurice, mais de sinistre mémoire, le guillotineur Meyssonnier. Le chahid Yveton est enterré à côté de sa mère au cimetière algérois de Bologhine. Une rue porte son nom à El Madania. Derrière Maurice, Fernand et Henri, n'oublions pas par ailleurs, entre autres, les frères Sportis et leur sœur, Juifs de Constantine. George de Compora, ex-condamné à mort qui n'a jamais quitté Bab El Oued. Hélyette Loup et Félix Colozi. Lucette Laribère et Evelyne Lavalette. Jean-Baptiste Peretto, ex-SG des dockers d'Alger, enterré à Alger. Jacques Salort, ancien directeur d'Alger-Républicain. Et les ecclésiastes Duval, Scotto et Béranger. Roland Siméon, officier de l'ALN. Georges Raffini et le Dr Georges Connillon, morts dans les Aurès. Roger Touati et Pierre Guemassia, juifs algériens morts dans la wilaya IV. Sans oublier tous les «Malgaches», notamment le grand Pablo Raptis, aujourd'hui disparu. Tous ces noms de grands vaillants, et de bien d'autres martyrs, contre la gangrène de l'oubli. N. K.