Place Maurice Audin. Entrée du Tunnel des Facultés. Sur un mur de la Faculté d'Alger, une plaque commémorative en faïence. Elle représente, avec image, texte en arabe et en français, Maurice Audin. Geste inédit dans un pays où la mémoire de la reconnaissance et la culture de la gratitude sont généralement une abstraction et souvent une vue de l'esprit. Tardive, mais louable initiative, car, soyons indulgents, il n'est jamais trop tard pour se souvenir. Découverte salutaire en juin. Mois du souvenir d'Algériens non musulmans, martyrs de la guerre d'indépendance de leur pays, l'Algérie. Justement, Maurice Audin, une équation subversive pour le pouvoir colonial. Né en Tunisie, professeur de mathématiques, membre du Parti communiste algérien, il est torturé et assassiné à Alger, le 21 juin 1957. Membre de la cellule Langevin des Etudiants Communistes, il fréquentait l'AEMAN, devenue en 1955, l'UGEMA, l'Union des étudiants musulmans algériens. Il organise notamment l'exfiltration à l'étranger de Larbi Bouhali, premier secrétaire du PCA, en septembre 1956. Henri Alleg, auteur du fameux «La Question» sur la torture durant la Bataille d'Alger, est le dernier à l'avoir vu vivant. Torturé à mort, par les parachutistes du général Massu, il est assassiné le 21 juin 1957. La disparition de l'auteur de la thèse de doctorat «L'Equation linéaire dans un espace vectoriel», soutenue post mortem et in absentia, est toujours une équation insoluble. En juin 2007, Josette, sa veuve, écrit au président Sarkozy, pour lui demander de faire la lumière sur la disparition de son mari, moudjahid de l'ALN. Sa requête est restée lettre morte. Le 1er janvier 2009, sa fille Michelle refuse le grade de chevalier de la Légion d'honneur. Elle veut toujours résoudre l'équation à plusieurs inconnues que constitue l'assassinat de son père. En 1960, le peintre algérien Khadda lui dédie une toile intitulée sobrement «Hommage à Maurice Audin», conservée depuis 1991 au Musée des beaux-arts d'Alger. La 38e promotion de l'ENA d'Alger, de juin 2005, porte également le nom du chahid, né le 14 février 1932. Maurice Audin, a un frère d'armes et de conviction patriotique, un autre Maurice, Laban de son nom, originaire de Biskra. Celui-là est mort, un autre jour de juin, les armes à la main. Dans le maquis. Près de Béni Rached, du côté de Khémis Miliana. Il est mort en martyr, en même temps qu'un autre moudjahid, l'aspirant Henri Maillot, le 5 juin 1956. Le lendemain, le journal colonial L'Echo d'Alger écrivit : «l'aspirant félon maillot et Laban sont abattus près d'Orléansville. Deux traitres accompagnaient les assassins de quatre Français.» Juste après sa désertion avec un camion chargé de 132 mitraillettes, 140 pistolets, 57 fusils d'assaut et un lot de grenades, l'aspirant Maillot qualifiait l'insurrection du premier novembre 1954 de «lutte d'opprimés sans distinction d'origine contre les oppresseurs et leurs valets, sans distinction de races.» Ce fils de Clos-Salembier (El Madania), est condamné à mort le 22 mai 1956. Henri Maillot et Maurice Laban, membres d'un commando de huit hommes, sont surpris par les miliciens du bachagha Boualem, appuyés par des soldats français. Ils sont morts, côte à côte. Moins connu des Algériens que Maillot et Audin, Maurice Laban est un personnage romanesque digne de «Pour qui sonne le glas» d'Ernest Hemingway. Ce fils de paysans pauvres, a vécu le Front populaire en France, la guerre civile d'Espagne, la seconde guerre mondiale et la guerre d'Algérie. Syndicaliste CGT, internationaliste et anticolonialiste, il s'opposa même au PC français lorsque le parti de Maurice Thorez prit son tournant colonial, estimant que l'indépendance du peuple algérien, toutes origines confondues, faisait le jeu d'Hitler et de Mussolini. C'était le temps où ce Maurice du PCF, pas le Laban de Biskra, estimait que «le droit au divorce, ne signifie pas l'obligation de divorcer.» Laban combattit aussi le pouvoir tyrannique du supplétif colonial que fut Cheikh El Arab Si Bouaziz Ben Gana, bachagha des Zibans. A sa libération, de Serkadji, après une condamnation à mort non exécutée, Mostefa Ben Boulaid fit appel à lui pour en faire un adjoint. Le PCA s'y opposant, Maurice Laban rejoignit alors Henri maillot dans l'Ouarsenis. De Maurice Laban, Jules Roy, aviateur et figure de la résistance française dira : «si j'étais musulman, je serai du côté des fellagas.» Maurice Laban, Maurice Audin, Henri Maillot, mais aussi Fernand Iveton, autre fils du Clos-Salembier. Iveton, voisin et ami d'enfance d'Henri Maillot. Frère en martyrologe d'Ahmed Zabana, unique algérien, d'origine européenne, guillotiné. Il le fut parmi les 198 prisonniers politiques condamnés à mort et dont François Mitterrand avait alors refusé la grâce. La tête de ce poseur de bombe fut coupée le 11 février 1957, après des séances de torture au Commissariat central d'Alger. Son bourreau, est un autre Maurice, mais de sinistre mémoire, le guillotineur Meyssonnier, dont une rue d'Alger porta son nom. Le chahid Iveton est enterré à côté de sa mère au cimetière de Bologhine. Une rue porte son nom à El Madania. Derrière les chahid Maurice, Fernand et Henri, n'oublions pas aussi les frères Sportis et leur sœur, juifs de Constantine. George de Compora, ex-condamné à mort qui n'a jamais quitté Bab El Oued. Hélyette Loup. Félix Colozi. Lucette Laribère. Evelyne Lavalette. Jean-Baptiste Peretto, ex-SG des dockers d'Alger, enterré à Alger. Jacques Salort, ancien directeur d'Alger-Républicain. Et les ecclésiastes, Mgr Duvall et les Abbés Scotto et Béranger. Roland Siméon, officier de l'ALN, George Raffini et le Dr George Connillon, morts dans les Aurès. Roger Touati et Pierre Guemassia, juifs algériens morts dans la wilaya IV. Sans oublier tous les Malgaches, notamment le grand Pablo Raptis, aujourd'hui disparu. Tous ces noms, et bien d'autres, contre la gangrène de l'oubli. N. K.