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Monopole de l'économie, de la science et des technologies !
L'Iran lance un satellite, l'Occident en effervescence
Publié dans La Tribune le 05 - 02 - 2009

Les téléspectateurs qui ont regardé, hier, France 24, France 23 et TSR, entre autres chaînes de télévisions francophones, ont dû rester assis. Un titre en gras donnait la tonalité d'une émission consacrée : «Nouvelle provocation iranienne», à propos du lancement par ce pays d'un satellite.
C'est à vous laisser perplexe ! En quoi un exploit technologique d'un pays classé dans le tiers-monde peut-il être une provocation ? La réaction normale aurait été de noter le progrès d'un pays du tiers-monde et un signe probant d'une réduction possible des inégalités scientifiques entre les pays et les peuples. C'est bien pour ce développement de la science que l'ONU a créé l'Unesco ? C'est bien le discours tenu officiellement par les grandes puissances, qui nous proposent de suivre la même route qu'elles ont empruntée pour arriver à leur niveau de développement, oubliant certes que cette route a été aussi celle de la barbarie coloniale ?
France 24, les autres grands médias et les gouvernements des grandes puissances n'ont pas salué cet exploit d'un pays hier encore arriéré, hier encore sous domination britannique puis sous tutelle américaine. Pire, ils le présentent comme une menace. Le lanceur
iranien du satellite iranien leur fait craindre des capacités iraniennes de disposer à terme de missiles balistiques.
Le porte-parole du département d'Etat, Robert Wood, n'a pas fait dans la dentelle : «Beaucoup d'éléments technologiques nécessaires à un véhicule spatial sont les mêmes que ceux qui sont nécessaires à des missiles balistiques à longue portée.»
Robert Gibbs, porte-parole de la Maison Blanche a affirmé que les activités nucléaires et balistiques de l'Iran, ses menaces contre Israël et le soutien de Téhéran aux groupes terroristes constituent des «motifs d'inquiétude aiguë» pour l'administration américaine.
Notez bien la confusion. Un satellite est forcément une arme aux mains de Téhéran. Il l'associe aux recherches balistiques, à l'espionnage, au terrorisme et à la sécurité d'Israël. Incontestablement, Israël est devenu la mesure de la vie internationale, le critère absolu de jugement des bons et des mauvais pays, des bonnes et des mauvaises politiques. Vous n'aurez plus besoin de réfléchir pour jauger d'une action au Moyen-Orient. Contentez-vous de la mesurer à l'aune des intérêts d'Israël, de la sécurité d'Israël, du confort hégémonique d'Israël. Quand on examine de plus près ces accusations on relève que les grandes puissances reprochent à l'Iran exactement ce qu'elles font elles-mêmes. De l'espionnage par satellites. L'usage d'armes balistiques aux fins d'intimidation des peuples et des adversaires. De la dissuasion nucléaire. Et très concrètement, l'emploi de leurs moyens militaires pour frapper toute opposition comme vient de le prouver l'envoi d'un porte hélicoptère français et d'experts allemands pour rendre plus hermétique l'encerclement de Ghaza sous le joli prétexte de lutte contre l'armement de Hamas, lorsqu'on laisse entrer des milliers de tonnes d'armements en Israël, qui les utilise contre des civils. Même quand on reconnaît que ce pays en fait un emploi excessif. On critique mollement ces excès pour mieux en légitimer l'usage. En fait, ces médias, ces gouvernements, ces propagandistes qui animent des émissions reprochent quoi aux Iraniens ? Le fait d'avoir démonopolisé la maîtrise du savoir et de la technique.
Derrière, il existe des enjeux politiques, économiques, culturels stratégiques. On le conçoit. On peut le comprendre. Mais alors que l'Occident énonce clairement la règle que nul pays situé en dehors de ses frontières n'a droit au développement des sciences, des technologies. N'a droit à l'invention, au progrès, à l'innovation. Nous saurons alors que nous sommes condamnés en tant que peuples et pays de l'ancienne aire de la civilisation arabo-musulmane à ne pas dépasser un niveau critique dans la connaissance et la
maîtrise. A ne pas franchir un plafond nécessaire à la bonne marche du commerce et de la circulation des produits de cet Occident.
Ces enjeux stratégiques n'entrent pas seuls en ligne de compte. Il existe un aspect idéologique très fort. Une vision quasi religieuse du monde musulman nous donne pour des êtres enchaînés dans un âge théologique. Incapables d'accéder à la raison, à la rationalité, à la modernité etc. Toutes les notions présentées comme clés d'une différence de «nature». Nous ne méritons même pas cet accès aux savoirs compte tenu de cette infériorité «naturelle» de notre esprit, de nos cultures. L'exemple iranien frappe cette vision au cœur. Quoi, ces fanatiques , ces barbares, ces «sous-hommes» ont pu produire des équipements spatiaux qui demandent un tel investissement scientifique et technique, cet investissement humain, cet investissement intellectuel ? Ce satellite représente un séisme idéologique, une terre qui se dérobe sous des représentations mentales qui ont nécessité des décennies de propagande, de mensonges savants, d'informations tronquées, de manipulations d'images, d'experts maisons etc. etc. Au bout du compte, comment, au bout du compte, pouviez-vous imaginer l'Iran en particulier et les musulmans en général ? Vous comprenez pourquoi la mine de ces présentateurs TV, de ces animateurs d'émissions ? A la limite de la rage ! Vous pouvez vous étonner que des hommes qui ont construit des mensonges finissent par croire à leurs mensonges. Ces mensonges-là ont d'autres fonctions que l'altération de la réalité. Ils construisent des images gratifiantes. Ils deviennent le miroir menteur d'une supériorité factice. Quelle satisfaction pouvait les travailler au sortir de ces séances valorisantes par le creux, par le négatif.
J'entends leur ouf de satisfaction : «Heureusement que nous ne sommes pas des musulmans !».
Le danger iranien n'est pas totalement inventé. Il n'est pas celui que l'on désigne, le danger nucléaire ou balistique. Il est bien plus profond et plus grave. Il est un danger pour la représentation mentale des peuples hier, encore, soumis. Une secousse dans l'édifice mental qui permettait à l'impérialisme de justifier son action face à des barbares et à des sous-hommes.
Les plus anciens parmi nous se souviennent combien les fusées et les satellites, les voyages habités dans l'espace, ont joué un rôle politique immédiat dans la confrontation Est-Ouest, la confrontation entre l'URSS et les Etats Unis. Ils se souviennent aussi combien les confrontations olympiques, aussi, servaient de vecteurs pour convaincre du bien-fondé des choix politiques du camp socialiste ou du
camp capitaliste. Je pense qu'immédiatement la réussite iranienne a été perçue dans sa portée pédagogique pour les peuples. Les choix de l'Etat iranien peuvent porter de telles promesses. Il peut les réaliser. Il est difficile de railler une puissance spatiale même naissante. Ou alors il faut déclarer nulle l'équation qui fait de la science une fille de la raison et de l'intelligence.
Il reste tout aussi difficile de mettre sur le même plan émotionnel la recherche nucléaire associée à la bombe et un satellite associé à l'exploit purement scientifique. Tout le ridicule va se retourner à terme contre les cercles qui ont orchestré en un tour de main cette campagne haineuse. Mais je ne pense qu'ils en sont à rechercher un quelconque crédit auprès de leur opinion. Ils doivent s'en moquer comme ils l'ont fait pour la fiction des armes de destruction massive de Saddam Hussein. Ils mesurent la portée du satellite iranien sur le monde arabe, dans la conjoncture immédiate de Ghaza, de la Palestine et des performances comparées entre les Etats de la région. A quoi ont abouti les régimes arabes modérés ou non qui ont suivi à la lettre les recommandations, les conseils et les orientations de l'Occident et de ses instruments ? A rien. Ils ont ajouté à leurs résultats désastreux économiques et sociaux le déshonneur national, le mépris de leurs peuples, plutôt enthousiastes pour Chavez et Nasrallah. Le satellite iranien est la preuve qu'une autre politique que la soumission paye et donne des fruits. Tournez vos yeux vers les dignitaires des régimes arabes modérés. Vous pouvez imaginer la consternation. La rivalité devient féroce. Les choix iraniens ont été présentés comme catastrophiques pour le peuple iranien d'abord et pour les peuples de la région ensuite. Pour les musulmans en général. Résultat des courses : la fierté vient de là-bas. Car la fierté est un sentiment éminemment politique. Elle réhabilite le dominé, le stigmatisé. Elle couronne les preuves de ses capacités. Quelle réponse à cette question démoralisante : «De quoi êtes-vous capables vous les musulmans ?». Et là il ne s'agit pas d'un match de football, d'un combat de boxe, d'une course olympique qui, déjà, soulagent les dominés du fardeau de leur propre représentation.
D'autres aspects peuvent se révéler funestes pour les tentatives de division sunnites-chiites, de stigmatisation des chiites etc. L'affrontement ne se déroule pas sur le seul terrain politique. Ou, plutôt, l'affrontement politique actuel au Moyen-Orient se déroule sur plusieurs terrains. La question de la souveraineté nationale est bien sûr un segment de la lutte des classes qui se déroule à
l'échelle planétaire. Mais la question nationale se déploie sur les registres qui sont immédiatement les siens : la culture nationale, l'identité, la réappropriation de soi et de ses ressources. Elle se présente sous les représentations qui la maximisent en refoulant à l'arrière-plan les contradictions internes au profit d'une direction unitaire capable de fondre en un seul combat les intérêts et les aspirations de classes et de groupes sociaux différents qui auront ensuite le temps d'en découdre.
Mais cette même conscience d'un intérêt national, opposé aux appétits impérialistes, se conjugue de plus en plus avec une conscience d'un ennemi impérialiste commun qu'il faut combattre de façon concertée sinon unitaire. Alors, cette campagne de haine et cette rage face à l'Iran vient s'ajouter à tous les préparatifs de l'isolement de l'Iran et d'une possible agression. Les peuples musulmans et arabes comprennent déjà ce qu'il faut comprendre. Ne nous sont permises que les portes que les Euro-américains et Israël voudront bien nous ouvrir. Mais les portes se défoncent aussi, non ?
M. B.


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