«Alimenter la guerre des mémoires, c'est rester prisonnier du passé, faire la paix des mémoires, c'est regarder vers l'avenir. C'est ce message d'unité et de paix, de rassemblement aussi que j'entendais en ce 19 mars délivrer devant vous», a lancé le président Hollande devant le mémorial aux victimes de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. Raté ! Il souhaitait conclure la «paix des mémoires», il a en réalité allumé le feu brûlant d'une violente controverse historico-politique. A dessein, peut-être ? Premier président sous la Ve République à se rendre au Mémorial du quai Branly, à Paris, à l'occasion de la «Journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc», Hollande s'est attiré les foudres de diverses associations de harkis et de rapatriés d'Algérie pour son initiative, mais aussi d'une droite et d'une extrême droite au même diapason des mémoires nostalgériques. En parfaite communion, droite et extrême-droite néocoloniales ont crié en effet au scandale de la «commémoration de la honte et du déshonneur». Au même titre que les associations de harkis et de Pieds Noirs qui ont pointé la célébration d'un «acte d'abandon». A un an de l'élection présidentielle de 2017, «les mémoires continuent de saigner, de s'affronter, portées notamment par certaines associations d'expatriés», estime l'historien Benjamin Stora, conseiller de M. Hollande sur les questions mémorielles et président du conseil d'orientation du Musée de l'immigration. Ce spécialiste de l'histoire d'Algérie a bien raison de relever qu'il y a là une certaine continuité dans le refus des accords d'Evian et de souligner l'antigaullisme viscéral de l'extrême droite. En réalité, Les Républicains (LR), bien que se prévalant du gaullisme, n'empruntent plus cette voie. A commencer par leur président, Nicolas Sarkozy, qui a accusé Hollande de réactiver la «guerre des mémoires» alors que la date du 19 mars 1962 «reste au cœur d'un débat douloureux». Chez Sarkozy, les calculs politiciens à court terme ne sont jamais loin. On décèle chez lui une volonté de courtiser Pieds noirs et Harkis dans l'optique de la primaire de la droite et de la présidentielle. A droite, la guerre d'Algérie est aussi une guerre de repositionnement politique en 2016. On se souvient notamment que lors de la campagne présidentielle de 2012, Patrick Buisson, l'ex-conseiller de Sarkozy avait convaincu ce dernier de dénoncer les Accords d'Evian. Une initiative à laquelle Sarkozy avait finalement renoncé. Et jusqu'à son sérieux rival politique Alain Juppé, qui bien que ne s'étant pas exprimé lui-même sur le sujet, a laissé son porte-parole Benoist Apparu, dénoncer lui aussi le choix de l'Elysée : «François Hollande a tort d'ouvrir cette page de notre histoire car les mémoires sont trop vives et cela reste un sujet de controverse, émotionnel, qui génère de fortes tensions en France». Même son de cloche chez Marine Le Pen qui a accusé Hollande de «violer la mémoire des anciens combattants, harkis et rapatriés morts pour la France lors du conflit algérien». Et même si la patronne du FN est sur la même longueur d'onde que les leaders de la droite classique, il n'y a rien de surprenant dans l'attitude de son parti qui a été créé par des nostalgiques de l'Algérie française et d'anciens membres de la terroriste OAS. Son compagnon et numéro deux du FN, fils d'une mère Pied-noir et d'un père mobilisé en Algérie, est intervenu le premier sur la question, avec virulence. «Cette date n'est pas celle de la paix, mais celle du déchaînement de la violence et d'un génocide», a tempêté le député européen, qui ne rate jamais une occasion de dorloter les rapatriés et les harkis, très influents à Perpignan, sa terre d'élection. La commémoration est certes organisée à des fins d'apaisement et de consensus mémoriel mais son objectif politique se révèle nettement plus clivant. Derrière l'affrontement mémoriel s'en profile un autre, très présidentiel. N. K.