Le propos est peut-être mal placé vu la relative vieillesse de la publication du texte (la revue Awal) dont il sera question dans notre parenthèse (amputation onomastique (nom) de l'un des prénoms de Jean El Mouhoub Amrouche, numéro 30 de la revue), mais comme la lecture n'a pas d'âge et la bêtise non plus, dire ce qui interpelle est plus important que feindre ou geindre au nom d'une féroce intolérance qui enfièvre et d'un nationalisme à deux balles qui pollue l'avenir. Car, ce qui menace, c'est justement ce qui anime certains cercles puisant leur force dans ce genre d'orchestration dangereuse. Par ailleurs, cela pousse à mieux discerner ce qui empoisonne les valeurs fondamentales d'un pays sans cesse mises en danger par les pleureuses de Bigeard. Un lien fort intéressant est à mettre en exergue avec une certaine actualité en faveur d'un exécrable passé que des cercles veulent relancer ; la sauvage cupidité des maîtres du monde tolère même les plus dégueulasses besognes, à savoir la fête du crime et le chant du meurtre, la honteuse loi du 23 février en est un symptôme. Cela dit, l'intérêt est toujours à accorder aux zones d'ombre de la mémoire qui constitue même le socle d'une terre à dépoussiérer, parce que ennemie des nouveaux harkis, véritables dangers de la dignité péniblement arrachée sous la botte du mépris, ces questions représentent des péchés, des interdits à ne pas braver. Néanmoins, rien ne freine le désir de réparer et de défendre la mémoire des hommes vrais qui n'en finissent pas, malheureusement, d'être assassinés pour d'obscurs intérêts, rien ne justifie aucunement ce marchandage qui essouffle le sens critique ni l'altération de l'éthique au profit de l'économique –en fin de compte, il ne s'agit que du fric, le reste est littérature-. La recherche et les travaux des universitaires, puisqu'il est important de signaler qu'un texte est l'objet de réflexion et de questionnements, doivent aiguiser ce sens de la réflexion. Malencontreusement, ils sont restés sans voix par rapport à quelques interrogations où il est essentiellement question d'éthique. Par malheur, ces réflexes ne font plus partie de nos habitudes universitaires, l'affairisme est la seule valeur qui tient lieu de credo. Appuyée par les échansons de Faffa couleur Massu, cette nauséabonde entreprise trouve appui dans des universités asservies, reliée par des docteurs ès chitta. No comment. C'est une autre histoire. Contentons-nous de citer la prestigieuse revue Awal fondée par l'incorruptible Mouloud Mammeri et de souligner une remarque dont l'intention n'est pas de l'ordre de la polémique. Le numéro 30 de cette revue, que dirige depuis quelques années madame Tassadit Yacine, est consacré à l'un des plus grands poètes algériens que l'histoire officielle a vomi et rejeté -intolérance exige- : Jean El Mouhoub Amrouche. Une initiative louable mais à lire avec beaucoup d'attention, car le moindre point peut être une réelle interrogation, comme par exemple le titre sans chercher à analyser sémiologiquement l'image, des éclaircissements nous aident à mieux comprendre les choses. Déjà complexe, la personnalité de Jean El Mouhoub Amrouche n'est pas si simple à saisir vu l'ambivalence de sa double appartenance, le foisonnement de son œuvre riche et multiple ainsi que son courageux parcours. Ce qui est frappant de prime abord dans ce numéro sans faire une plongée même s'il y a de très intéressantes analyses, c'est l'étrangeté de l'intitulé Jean Amrouche (1906-1962). Un lecteur attentif qui a lu la production et qui connaît un peu la vie de l'auteur de Cendres, ne s'empêchera pas de se poser ne serait-ce que la question du nom, une problématique qui a fait couler beaucoup d'encre pendant des années et qui lui a fait dire «besoin tragique d'avoir un nom». Cette remarque n'est liée qu'au seul besoin critique, juste un rappel d'un texte de Jean El Mouhoub Amrouche, écrit en pleine guerre de libération où il est question de son propre nom qui nous aide à mieux comprendre la complexité de l'homme : «Je suis Jean et El Mouhoub…», avril 1956. «Depuis dix-huit mois passés, des hommes meurent, des hommes tuent. Ces hommes sont mes frères. Ceux qui tuent. Ceux qui meurent. Je me nomme El Mouhoub, fils de Belkacem, petit-fils d'Ahmed, arrière-petit-fils d'Ahcene. Je me nomme aussi, et indivisément, Jean, fils d'Antoine. Et El Mouhoub chaque jour traque Jean et le tue. Et Jean chaque jour traque El Mouhoub et le tue. Si je me nommais seulement El Mouhoub, ce serait presque simple. J'embrasserais la cause de tous les fils d'Ahmed et d'Ali. J'épouserais leurs raisons, et il me serait aisé de les soutenir en un discours cohérent. Si je me nommais seulement Jean, ce serait presque simple aussi, je développerais les raisons de tous les Français qui pourchassent les fils d'Ahmed en un discours aussi cohérent. Mais je suis Jean et El Mouhoub. Les deux vivent dans une seule et même personne. Et leurs raisons ne s'accordent pas. Entre les deux, il y a une distance infranchissable». A lire ce texte et l'intitulé du colloque, la question s'est imposée d'elle-même : à quoi profite cette amputation onomastique ? Est-ce que Jean a traqué et a tué El Mouhoub ? La réponse résiderait peut-être chez les universitaires qui, au lieu d'engager des réflexions dignes, préfèrent faire carrière et ce, en sacrifiant l'essentiel pour des ignominies comme par exemple faire passer un discours néocolonialiste à travers un texte qui contredit totalement cette machination. A. L.