Evocation n Jean Amrouche fut le génie inspiré de la littérature algérienne aux prémices de son éclosion dans les années 30. Ce poète pénétrant à la stature majestueuse, cet écrivain est pourtant longtemps resté dans l'ombre. Sa parole talentueuse qui ne souffrait aucune équivoque en avait fait un homme lucide au fait des préoccupations existentielles de son pays natal. Dans sa dernière livraison, la revue Awal dirigée par Mme Tassadit Yacine, a tenu à lui rendre un hommage posthume à travers d'épaisses interventions de chercheurs et hommes de lettres qui nous éclairent sur la trajectoire de cet illustre écrivain quelque quarante-deux ans après sa mort en 1962. Sous l'intitulé «Jean Amrouche et le pluralisme culturel», une quinzaine de communications savantes et très étoffées regroupent dans ce numéro les actes du colloque qui s'est déroulé à Paris en 2003. On découvre dans ces lectures instructives, un intellectuel qui se sentait éternellement exilé face à sa condition d'assimilé par rapport à la société coloniale. Sa confession religieuse chrétienne et sa nationalité française qu'il vivait comme un véritable dilemme ontologique, ne l'ont pourtant pas éloigné des préoccupations urgentes de son peuple. Cela étant, l'écrivain maghrébin avait toujours oscillé entre son appartenance à des origines et une volonté — grand paradoxe — continue d'avoir une place de choix dans la culture occidentale. Curieux destin, dans une Algérie musulmane, de ce poète algérien à l'âme très mystique qui naquit en 1906 à Ighil Ali, village de la Petite Kabylie des Aït Abbas. Ce précurseur issu d'une dynastie d'artistes était doté d'une conception politique visionnaire. Dans un texte intitulé «Le prix de la paix» paraissant en mars 1960, il écrivait déjà : «Je suis persuadé qu'il y aura un Etat national algérien, laïque, démocratique et social et qu'en définitive le moment venu, les Algériens auront à se prononcer sur un seul projet de statut : l'Algérie algérienne, patrie commune de tous les Algériens» (p. 6). L'auteur du célèbre L'éternel Jugurtha savait plonger dans ses racines algériennes profondes. Sa prise de conscience politique quoique tardive l'éloigne définitivement de cette France lorsqu'il réagit à la dure réalité des massacres du 8 Mai 45 dans le Sétifois. Il sort de cette tragédie, ébranlé par les conflits sanglants dans les deux camps et affirme alors sans ambages son engagement pour une Algérie indépendante. «A partir de 1945, ses conceptions évoluent à la mesure d'un engagement politique de plus en plus affirmé. Produit d'un métissage culturel dévalorisé et marginalisé par les groupes dominants de la société coloniale (…) Amrouche, solitaire mais solidaire va élever la voix pour défendre ses frères, en quête, comme lui, d'une identité et du «besoin tragique d'avoir un nom», écrit à ce sujet Wadi Bouzar. «Jean Amrouche et le pluralisme culturel», revue Awal aux éditions Mettis, avril 2006, 203 p. Alger.