L'Inde est au 11e rang mondial en termes de production d'énergie solaire. La Chine est en tête, avec 43 GW, suivie par l'Allemagne avec 38 GW. Mais, avec l'addition de nouvelles capacités, elle pourrait se hisser parmi le Top 5. Car, l'Inde est le pays qui a le plus grand potentiel au monde. Les besoins sont là, et les investisseurs savent que les opportunités peuvent être très lucratives. Depuis son accession au pouvoir, en 2014, le Premier ministre indien, Narendra Modi, s'est juré de faire de son pays une nouvelle puissance dans le solaire. Depuis, les projets se multiplient. Mais cette course effrénée contre le charbon, trop polluant, est loin d'être gagnée. Comme sorti d'un mirage, le long ruban gris surgit soudain, bordé de pylônes électriques. Après des kilomètres parcourus dans la poussière, dans un paysage de salines, hanté par les troupeaux de moutons, l'asphalte fait figure d'indice. La centrale solaire n'est plus très loin. A l'entrée, deux gardiens se précipitent pour ouvrir le lourd portail. Avec minutie, comme s'ils dévoilaient un trésor. A l'arrière-plan, les panneaux photovoltaïques, sur fond de ciel bleu, apparaissent enfin. Par centaines. Austères, ancrés dans la terre aride, leur ventre cristallin en position «tournesol». «Deux fois par mois, une équipe les nettoie, car le problème, ici, c'est la poussière», raconte Hariram Sharma, l'un des managers. Mais cela crée de l'emploi ! Il y a 420 000 panneaux quand même !» Au cœur du dispositif de Welspun Renewables, le premier acteur indien du secteur, cette centrale de 50 MW, implantée dans le district de Jodhpur, abreuve de courant vert plus de 250 000 familles. «En termes de rendement, c'est un des plus élevés du pays», ajoute l'ingénieur, le regard perdu au loin. De l'autre côté du grillage, en face, un champ encore vide s'étend à perte de vue. A cette distance, aucune installation ne se laisse deviner. Pourtant, les lieux sont occupés. «Par Mahindra, sourit Hariram Sharma, un autre conglomérat indien.» La «sunbelt» du Rajasthan Phalodi, Barmer, Jodhpur, Jaisalmer : en peu de temps, cette «sunbelt» du Rajasthan, au nord-ouest de l'Inde, est devenue le nouvel eldorado des groupes photovoltaïques. Tous les grands noms y ont établi leurs quartiers, y compris les géants du cru, les Tata, Adani, Mahindra et autres. Tous attirés par les taux d'ensoleillement exceptionnels et l'octroi de terres, ici plus généreux qu'ailleurs. Résultat, l'Etat, parmi les 29 que compte l'Inde, concentre déjà la plus grande capacité installée du pays. Soit 1 264 MW sur un total actuel de 6 753. Pour l'heure, les chiffres sont encore modestes. Mais les ambitions sont réelles et vont bien au-delà des frontières de ce seul désert. Elu en avril 2014, Narendra Modi a fait du solaire l'une de ses grandes priorités. Le Premier ministre a pris date à Paris, lors de la COP21, l'automne dernier. Avec un engagement de taille : produire d'ici à 2022, 175 GW d'électricité à partir de renouvelables, dont 100 GW de solaire, 60 d'éolien, 10 de biomasse et 5 d'hydraulique. L'objectif ? La lutte contre le changement climatique, bien sûr. L'Inde est le troisième plus gros émetteur de gaz à effet de serre au monde. Même si, précision plus que nécessaire, la moyenne par habitant est encore 12 fois inférieure à celle des Etats-Unis. «La sécurité énergétique est aussi une de nos principales préoccupations», explique un fonctionnaire de la Solar Energy Corporation of India (Seci), conscient de la nécessité «d'anticiper la fin du charbon», de loin encore la première source pour produire de l'électricité. «Sans compter que les prix des renouvelables sont chaque jour un peu plus compétitifs.» Un argument décisif. Un quart de la population n'a toujours pas, ou de manière épisodique, accès à l'électricité. Et ce alors que la démographie ne cesse de galoper. Les appels d'offres fourmillent Du coup, les appels d'offres fourmillent, et pas seulement au Rajasthan. «En peu de temps, nous avons développé plus de 700 MW de capacités et sommes en route pour atteindre le gigawatt», se félicite pour sa part Vineet Mittal, vice-président de Welspun Renewables. La filiale de ce conglomérat s'est déployée dans une dizaine d'Etats. Notamment au Maharashtra, au Gujarat, au Tamil Nadu, au Karnataka, mais aussi, et plus curieusement, au Penjab. Dans cet Etat frontalier du Pakistan, plus au nord, une pluie fine vient de tomber. A l'intérieur de cette région, pourtant fertile, l'espace est également pris d'assaut. Du moins, les rares parcelles sablonneuses qui subsistent entre les champs de blé et de colza. Et la cadence n'y est pas moins effrénée. Près d'Abohar, la société française Solairedirect (Engie), implantée dans le pays depuis 2010, a fait éclore trois petites centrales, d'une vingtaine de mégawatts chacune. Et ce en l'espace d'un an à peine. «Tout cela c'est le résultat d'un dur travail d'équipe», assure Anil Sangwan. Casque de chantier vissé sur la tête, cet ingénieur sait de quoi il parle. Pendant plusieurs mois, lui et ses collègues n'ont pas compté leurs heures. Venus de partout en Inde, logés dans des «guesthouses» situées dans les villages alentour où des cuistots népalais leur font la tambouille, ces jeunes recrues savourent cependant l'opportunité qui leur est offerte. «Il n'est pas si facile de trouver un poste d'ingénieur, beaucoup de mes amis sont à la maison», insiste l'un d'eux. Des panneaux chinois A quelques kilomètres de là, au milieu des vergers de mandarines, la dernière des trois centrales vient tout juste d'entrer en fonction. En mars, le terrain vague parsemé de tiges d'acier attendait encore ses panneaux. Un tracteur charriait les cartons les contenant, estampillés Jinko Solar, tout droit venus de Chine. «Pour l'instant, nous nous devons d'importer ces panneaux, reconnaît Tushar Mallick, le responsable des sites. Le gouvernement veut inciter la production locale, mais cela coûte plus cher.» Pas sûr de toute façon que l'OMC laisse faire. Fin février, l'Organisation mondiale du commerce a donné gain de cause aux Etats-Unis, qui s'étaient plaints des pratiques indiennes, jugées anticoncurrentielles. «L'Inde souhaiterait privilégier les fabricants indiens, défend Rajendra Shende, président de Terre Policy Center, ex-directeur environnement à l'ONU. Mais l'objectif est de rendre l'énergie solaire plus accessible et plus compétitive par rapport aux énergies fossiles. Il est navrant que les Etats-Unis, qui restent parmi les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre se montrent aussi peu coopératifs.» D'autant que le concept de «Make In India», selon lui, n'exclut pas les étrangers. «Au contraire, il suggère qu'ils pourront fabriquer leurs panneaux sur place avec la collaboration des Indiens.» Une «spirale à la baisse» En attendant, l'Inde apporte sa contribution au monde autrement. Avec la mise en place d'enchères inversées, qui font du tarif le plus bas l'argument clef, le pays a rendu les appels d'offres dans le solaire ultra-compétitifs. En quelques années, le prix du kilowattheure a été divisé par trois. A 5-6 roupies (environ 6 cents) contre 15-16 en 2010. Un bon point qui lui permet d'envisager un début de compétition avec le charbon, parfois encore autour de 2,5 roupies. Certains industriels s'inquiètent cependant des excès d'un tel modèle. «Le gouvernement doit mettre fin à cette spirale à la baisse agressive, s'insurge par exemple Vineet Mittal, chez Welspun Renewables. Dans les circonstances actuelles, lancer des projets avec des tarifs aussi bas ne permet plus d'être rentable.» Selon lui, un tel scénario risque de peser sur la croissance du secteur. Certains en font d'ailleurs déjà les frais. A commencer par l'américain SunEdison. Très endetté, le numéro un mondial chercherait à céder ses activités indiennes à ses concurrents, notamment Tata Power et Adani Power. En vue de se renflouer. Son portefeuille inclut des projets solaires portant sur 1 000 MW, dont 500 dans l'Andhra Pradesh, que le groupe avait remportés à un prix défiant à l'époque toute concurrence de 4,63 roupies le kilowattheure… Avec le résultat que l'on connaît aujourd'hui. Ces efforts suffiront-ils ? A n'en pas douter, les bonnes intentions sont là, mais suffiront-elles à faire de cette révolution un succès ? Tout dépend de la perspective. «En absolu, jamais pays n'a lancé de plan aussi ambitieux dans le solaire, pas même la Chine», insiste Rajnish Wadehra, directeur de Third World, et conseiller dans le domaine des politiques énergétiques. «Mais les besoins énergétiques sont tels que, pour les satisfaire, New Delhi ne pourra faire l'économie du charbon, celui-ci reste et restera la première source d'énergie au cours des dix prochaines années.» Selon lui, le «charbon propre», le gaz, et une plus grande efficacité énergétique favoriseront également la transition. Le gouvernement envisage d'autres recours. Selon ses prévisions, en 2030, 40% de l'électricité pourrait être produite à partir d'«énergies non fossiles». Un «mix» énergétique qui masque en réalité une bonne part de nucléaire. «Au final, le solaire pourrait ne représenter qu'environ 15% de cette proportion», calcule, sceptique, un autre expert. Miser sur le stockage De surcroît, le secteur aura à résoudre ses propres défis. «Financiers, par exemple. L'Inde aura-t-elle les moyens de se payer la quantité nécessaire de panneaux dont elle aura besoin ? s'interroge-t-il. Et puis il faut aussi des terres, le pays risque d'en manquer, et elles valent cher.» La réussite passera de toute façon par l'innovation, en particulier dans le domaine des batteries. «Le stockage reste la clef, confirme un ingénieur du Commissariat à l'énergie atomique, sans stockage on risque de se heurter à un manque de production, ce type de problème est plus crucial encore dans un pays où l'on veut atteindre de tels chiffres en un temps record.» En réponse, le CEA a entamé une coopération avec des groupes indiens, dont Avantha, en vue de leur proposer une solution intégrée (production et stockage) dans les aéroports. «Aujourd'hui, l'Inde n'est qu'au 11e rang mondial en termes de production d'énergie solaire. La Chine est en tête, avec 43 GW, suivie par l'Allemagne avec 38 GW», rappelle Pranav Mehta, président de la Fédération nationale de l'énergie solaire. «Mais, avec l'addition de nouvelles capacités, l'Inde pourrait se hisser parmi le Top 5», s'emballe-t-il. Quand ? Difficile à dire. Mais, dès l'an prochain, selon cette même source, la production nationale pourrait doubler, et atteindre les 10 GW. «C'est très ambitieux certes. Mais l'Inde est le pays qui a le plus grand potentiel au monde, conclut Wilson Waller, un Américain, fondateur de l'ONG Edu Grid. Les besoins sont là, et les investisseurs savent que les opportunités peuvent être très lucratives.» Les bonnes surprises ne sont donc pas exclues. Après tout, l'Inde est le premier pays au monde à posséder un aéroport international entièrement alimenté à l'énergie solaire. A Cochin ! M. C. In lesechos.fr