Photo : DR Par Abderrahmane Semmar C'est un phénomène nouveau : de nombreux migrants africains subsahariens arrivent sur le sol maghrébin et, faute de pouvoir franchir les frontières, verrouillées, de l'Union européenne, s'y installent. Chaque année, des milliers de migrants subsahariens se retrouvent piégés, en situation de transit, dans les pays du Maghreb. Une récente enquête du Réseau Afrique migration (RAM) a révélé que chaque année, entre 60 000 et 120 000 migrants subsahariens débarquent au Maghreb. Réalisée en Tunisie, en Algérie et au Maroc sur les migrations subsahariennes, l'enquête du RAM a mis en exergue les dimensions importantes que prend ce mouvement migratoire dans ces trois pays maghrébins. Selon les auteurs de cette enquête, l'Algérie, comme ses deux voisins, s'est transformée en un véritable «pays d'immigration» où d'importantes communautés subsahariennes s'y sont établies. Formé par l'Association marocaine d'études et de recherches sur les migrations (AMERM), l'Association des familles et des victimes de l'immigration clandestine (AFVIC), l'Association club Mohamed Ali de la culture ouvrière (ACMACO) de Tunisie et la Société algérienne de recherche en psychologie (SARP), le RAM a permis, grâce à son enquête entamée en 2007 et achevée fin 2008, d'établir une radiographie de la migration subsaharienne au Maghreb, et ce, à travers une récolte d'informations visant à apporter des éléments de réponse sur les caractéristiques du phénomène migratoire subsaharien. Il faut dire que c'est la première fois que des chercheurs maghrébins se sont réunis autour d'un projet fédérateur pour essayer d'analyser, avec une méthodologie commune, un phénomène qui interpelle tous les pays du Maghreb. Ainsi, d'après les résultats de l'enquête, 83,7% des migrants subsahariens ont transité par plusieurs pays pour arriver enfin au Maghreb. 17,9% ont transité par un seul pays, 28,3% par deux pays, 18,4% par trois pays, et, enfin, 21,1% par quatre à six pays. Les ressortissants du Nigeria sont les plus nombreux (15,7%) suivis en seconde position par les Maliens (13,1%). Viennent ensuite les Sénégalais (12,8%), les Congolais (10,4%), les Ivoiriens (9,2%), les Guinéens (7,3%), les Camerounais (7%), les Gambiens (4,6%), les Ghanéens (4,5%), les Libériens (3,8%) et les Sierra Léonais (3,1%). L'enquête a également permis de relever la présence de migrants de treize autres nationalités que celles susmentionnées dans des proportions relativement moindres. L'âge des migrants subsahariens en transit au Maghreb oscille entre 15 et 47 ans. L'âge moyen se situe à 27,7 ans. Cet âge reflète, selon les membres du RAM, une pyramide d'âge jeune, puisque l'écrasante majorité des migrants, soit 95,4%, ont moins de 36 ans. La grande majorité, soit 66,1%, sont âgée de 26 à 35 ans. Un peu moins du tiers, soit 28,6%, sont âgés de 18 à 25 ans. En revanche, seulement 4,6% sont âgés de plus de 36 ans. Enfin, il faut signaler que les mineurs âgés de 15-17 ans sont très peu nombreux (0,7%). Sur un autre chapitre, il est à signaler que le manque de perspectives socioéconomiques est déclaré comme l'une des motivations de la migration subsaharienne au Maghreb et ce, dans 86% des cas. Le sentiment d'insécurité, alimenté par des conflits ou des guerres, qu'éprouvent près du tiers des migrants dans leur pays d'origine est avancé par 32% des Subsahariens installés au Maghreb. Aussi, 17% ont avancé comme raison de leur émigration les études, 38% pour rejoindre des amis ; 43,1% des migrants subsahariens ont déclaré vouloir rejoindre des frères et sœurs installés en Europe. D'autre part, 52% de ces migrants ont dû payer entre 1 000 et 2 000 euros pour se rendre en Algérie, au Maroc ou en Tunisie. Un quart environ (26%) des migrants ont dépensé moins de 1 000 euros. En revanche, 11% ont dépensé entre 2 000 et 3 000 euros et 2,5% plus de 3 000 euros pour ce voyage qui s'apparente à une véritable aventure. Toutefois, 13% des migrants subsahariens n'ont pas eu besoin des services d'un passeur ou ont fait fonctionner le système des réseaux familiaux ou tribaux. Près du cinquième ont payé entre 50 et 200 euros (dont 7% de l'effectif féminin et 23% de l'effectif masculin). 23,5%, soit le pourcentage le plus élevé, ont payé entre 201 et 500 euros et près du cinquième plus de 500 euros pour s'offrir les services d'un passeur. Par ailleurs, 47% des migrants ont déclaré disposer de la somme requise pour financer leur projet migratoire, contre près de 53%, contraints de chercher différents moyens. Si la présence de ces migrants est devenue un «fait d'évidence sociale» dans la plupart des grandes villes du Maghreb, elle n'en reste pas moins un sujet «tabou», soulignent de nombreux sociologues. Faisant face à un racisme et à une xénophobie régulière et quotidienne, les émigrés subsahariens vivent dans des «ghettos» formés dans les grandes villes algériennes ou marocaines. Travaillant au noir, ils sont utilisés dans l'agriculture ou le bâtiment. Pour illustrer le malaise et le mal-être de ces migrants établis dans les pays du Maghreb, il convient de citer cette enquête menée récemment par des chercheurs de l'université d'Alger qui nous a appris que 30% des immigrés interrogés pensent qu'on les considère comme des gens «misérables», près de 20% comme des «esclaves» et 12% comme des «sous-hommes» ! Et malgré cela, seulement 10,6% des enquêtés subsahariens veulent retourner chez eux. Alors que 72,6% rêvent toujours de rallier l'Europe, leur terre promise.