L'Union européenne et la Turquie ont repris langue à l'occasion de la visite à Ankara, vendredi 9 septembre, de Federica Mogherini, la chef de la diplomatie européenne, accompagnée par Johannes Hahn, le commissaire européen pour l'élargissement Pour leur première visite en Turquie depuis le putsch raté du 15 juillet, les dirigeants européens tenaient à arrondir les angles. Juste après les événements, le président Recep Tayyip Erdogan avait reproché à l'UE son manque d'empathie, se plaignant de ce qu'aucun dirigeant ne soit venu manifester son soutien au pays traumatisé par les morts (270 personnes tuées) et les destructions survenues la nuit du coup d'Etat manqué. Après un entretien avec son homologue turc Mevlut Cavusoglu, Mme Mogherini a insisté sur la nécessité «de se parler davantage, plutôt que de parler l'un de l'autre, ceci avec le plus grand respect». «La Turquie est une démocratie européenne», a affirmé M. Cavusoglu alors que les interpellations de 35 000 personnes depuis l'instauration de l'état d'urgence, le 18 juillet, soulèvent une vague de critiques. Avant tout, les dirigeants européens veulent maintenir à flot l'accord signé en mars 2016 entre Bruxelles et Ankara pour contenir les arrivées de migrants sur le Vieux Continent. Toujours en vigueur, il a permis de tarir les arrivées de réfugiés sur les îles grecques de la mer Egée - passées de 6 360 personnes par jour en octobre 2015 à 111 en août 2016. A ce jour, moins de 500 migrants ont été renvoyés de la Grèce vers la Turquie. Jeudi 8 septembre, cinq personnes déboutées du droit d'asile (aucun Syrien parmi eux) ont été renvoyées en Turquie. «L'UE n'est pas en mesure d'avaliser la libéralisation des visas» Le président Recep Tayyip Erdogan avait menacé de faire échouer l'accord tant qu'une exemption de visas pour les citoyens turcs désireux de voyager en Europe n'était pas garantie. Ankara adopte désormais une approche plus souple. «La Turquie a beau donner de la voix, elle ne veut pas totalement l'éclatement de l'accord migratoire», estime Sinan Ulgen, qui dirige le groupe de réflexion Edam à Istanbul. Fixée initialement à juin, la libéralisation des visas a ensuite été retardée à octobre pour être tout récemment repoussée à la fin de l'année. «On continue à repousser l'inévitable. Aucune solution n'est en vue, l'UE n'est pas en mesure d'avaliser la libéralisation des visas, surtout dans un environnement aussi difficile en Turquie», estime Sinan Ulgen. La question des visas est fragilisée par le refus d'Ankara de modifier sa loi antiterroriste, comme l'exigent les Européens. Avec le coup d'Etat manqué, les dirigeants turcs campent plus fermement que jamais sur leurs positions. En guerre sur trois fronts - contre l'organisation Etat islamique (EI), contre les rebelles du PKK et leurs affiliés syriens et contre la confrérie du prédicateur Gülen -, Ankara n'a pas intention de modifier sa position. Selon M. Cavusoglu, un «arrangement mutuel» a été trouvé. Sans toucher à sa loi antiterroriste, la Turquie pourrait faire l'objet d'un suivi du Conseil de l'Europe. Sur la question des visas, une «feuille de route concrète» doit être élaborée. Les parlementaires allemands autorisés à visiter la base d'Incirlik En visite à Ankara, jeudi 8 septembre, Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l'Otan, s'est voulu rassurant lui aussi, expliquant qu'une Turquie «forte et démocratique est indispensable à la stabilité et à la sécurité de l'Europe et de la région». A cette occasion, M. Cavusoglu a de nouveau réclamé l'instauration d'une zone d'exclusion aérienne dans le nord de la Syrie, où l'armée turque conduit des opérations depuis le 24 août. Enfin, l'interdiction faite à une délégation de parlementaires allemands de visiter la base aérienne d'Incirlik, dans le sud du pays, a été levée par Ankara. 250 soldats allemands s'y trouvent dans le cadre de la campagne aérienne de la coalition arabo-occidentale contre l'EI. En riposte au vote par le Parlement allemand d'une résolution reconnaissant comme génocide les massacres des Arméniens de l'Empire ottoman en 1915, les autorités turques avaient interdit la visite. Une déclaration de la chancelière Angela Merkel, qualifiant la résolution de «non contraignante», a dégelé la situation. M. J. In lemonde.fr