Les dictateurs qui massacrent leurs peuples ne méritent pas la moindre sympathie. Ils la méritent d'autant moins que c'est leur conduite, passée et présente, qui permet aujourd'hui à des interventions étrangères parfaitement décomplexées de se déployer. Ces dictateurs pourraient être qualifiés de matamores. Les dictateurs qui massacrent leurs peuples ne méritent pas la moindre sympathie. Ils la méritent d'autant moins que c'est leur conduite, passée et présente, qui permet aujourd'hui à des interventions étrangères parfaitement décomplexées de se déployer. Ces dictateurs pourraient être qualifiés de matamores. Voici un mot d'origine espagnole, mata moros, qui signifie «tueur d'Arabes», devenu par la suite un personnage de la commedia dell'arte. Il date de l'époque de la chute de Grenade et de la fin de l'Andalousie. Les Arabes étaient alors pourchassés et massacrés ; les bons chrétiens espagnols se glorifiaient à qui mieux mieux du nombre de Maures qu'ils avaient passé par le fil de l'épée dans la journée. Aujourd'hui, ce terme renvoie à la notion de fier-à-bras et de vantard. Il s'applique à merveille à nos dictateurs. Leurs principales victimes sont leurs propres citoyens. Les dirigeants syriens se vengent de leur incapacité de récupérer le Plateau du Golan en bombardant leurs propres villes. Il est vrai que le risque de représailles est bien moindre que s'ils pointaient leurs canons sur les villes israéliennes. Certes, il ne faut surtout pas tomber dans la dichotomie occidentale qui fait de Bachar El Assad le mal absolu alors que son opposition «modérée» représenterait le bien. Kadhafi, en d'autres temps, s'était empressé d'assurer l'Occident de sa disposition à collaborer avec lui. Ce sont les Libyens qui ont payé le prix du sang. Ce sont les migrants africains poussés par la misère à tenter de gagner les rivages de l'Europe qui se sont heurtés au satrape libyen transformé en garde-chiourme de l'Europe. Une fois qu'il a cessé d'être utile, il est mort, lynché par une foule haineuse, sous le regard froid de ceux dont il croyait avoir reconquis la grâce. Souvenons-nous aussi de ces Emiratis, Qataris, Saoudiens, venus participer avec leurs avions de chasse à la «démocratisation» de la Lybie, du Yémen ou de Bahrein ! La Syrie à présent… Le même mauvais scénario qu'en Libye s'y déploie : Massacres commis par l'armée, militarisation du mouvement de contestation, confessionnalisation des luttes, irruption de Daesh, venu contester le Front El Nosra, émanation d'El Qaïda. Il n'est pas indifférent de noter que l'avènement de Daesh est lié à la liquéfaction de l'Irak, la disparition du leadership sunnite et, surtout, la dissolution de l'armée irakienne. Les officiers, en grande majorité baathistes, sunnites, très éloignés de l'Islam, ont voulu se venger en participant à la création du monstre, avec l'aide de quelques avatars d'El Qaïda. Ils exercent cette vengeance en priorité contre les chiites exécrés surtout pour les avoir supplantés et les avoir privés de la manne financière du pétrole. Ils l'exercent aujourd'hui sur les sols même de l'Europe, des Etats-Unis, artisans de la destruction de leur pays, ainsi que dans les pays arabes jugés coupables d'avoir approuvé la destruction de l'Irak. Le terrorisme déploie son œuvre de mort à travers le monde. On dit que les civilisations sont mortelles. Beaucoup d'entre elles ont disparu, entre autres, la brillante civilisation arabo-musulmane dont l'esprit a produit la Renaissance européenne. Il semblerait que les arabo-musulmans, affectés par le charme émollient de l'Andalousie, se sont détournées de la rudesse de leur mode de vie traditionnel et qu'ils ont perdu le goût de la bataille, mais aussi celui de la confrontation des idées. Ils se sont épuisés en luttes fratricides entre taifas pour la conquête de nouveaux territoires. C'est ainsi que prit fin le rêve andalou. Sur le chemin qui mène de Grenade à Motril, lieu d'exil de Boabdil, dernier roi de Grenade, il y a un col à plus de 800 mètres d'altitude qui s'appelle Le Soupir du Maure (Suspiro del Moro). C'est là que le Roi Boabdil, se retournant une dernière fois pour contempler la splendeur de la cité de l'Alhambra, a poussé un long soupir… La civilisation occidentale est tout autant mortelle. Le drame, c'est que les civilisations n'ont pas le tact de s'effacer progressivement, sans bruit. Leur disparition se fait le plus souvent dans le fracas des armes. Notre siècle vivra-t-il de telles convulsions ? Ou les puissances qui nous gouvernent auront-elles la sagesse d'anticiper l'avènement d'un véritable nouvel ordre dans lequel les notions de liberté et de justice soient autre chose que des slogans que les pratiques impérialistes démentent tous les jours ? Le NON est hélas réponse la plus probable. Les fleuves de sang syrien, congolais, irakien… ne plaident pas en faveur d'une sortie en bon ordre. La libération de la parole raciste, la remise au goût du jour de notions venues du fond d'un XIXe siècle ouvertement raciste et qui a vu d'innombrables massacres d'«allogènes», plaide plutôt pour une crispation de ces puissances sur le maintien de leur suprématie. L'Irak, la Libye, la Syrie, pays détruits au nom d'intérêts étrangers, en savent quelque chose. De plus en plus, des commentateurs de tout bord associent les régions du Proche et du Moyen-Orient à l'Afrique du Nord dans l'arc des zones de conflits. L'Algérie ne sortirait évidemment pas indemne d'une conflagration locale. Il nous faut méditer les exemples de ces pays cités plus haut. Si nous voulons éviter le sort auquel ils ont été réduits, il faut nous souvenir que les populations de chacun de ces pays avaient accumulé beaucoup de haines recuites. Chiites contre sunnites, druzes contre alaouites, Tripolitaine contre Cyrénaïque, Fezzan contre tout le monde… L'explosion de ces haines a fortement contribué à la destruction de ces pays. Elle les a en tout cas empêchés de présenter un front uni face aux interventions étrangères. Notre pays traîne aussi des rancœurs séculaires. Bien que l'Histoire nous enseigne qu'il n'y a pas eu de pogroms entre les populations, une mémoire instrumentalisée tend à en accréditer l'idée. Il est même question chez les plus extrémistes de purger le pays de sa composante arabophone, au motif que celle-ci serait assimilable aux colons français (au passage, il faut noter que les colons français suscitent moins d'antipathie que les supposés colons arabes !). Une tornade est en train de se constituer. Espérons qu'elle ne nous atteindra pas. Mais il ne suffit pas d'espérer ni de prier. Il faut s'y préparer. Pour cela, il faut régler nos problèmes internes et d'abord ceux qui touchent à l'âme d'une nation, la culture, l'identité, la mémoire, le projet. Il nous faut une intégration réelle, et non pas celle que propose le mille-feuilles du triptyque, de toutes les dimensions de notre personnalité. Faire société en somme, ou disparaître… B. S. **Ecrivain, maître de conférences et militant algérien. Professeur de sciences physiques à l'université de Cergy-Pontoise en France.