En matière de provocation, on ne pouvait pas faire mieux : Saddam Hussein a été exécuté le jour même où l'ensemble des musulmans célébraient la fête de l'Aïd El Adha. Comme si « le sacrifice » devait prendre un autre sens. Personne n'ose imaginer un Pinochet pendu la nuit de Noël. Augusto Pinochet, dictateur sanguinaire du Chili, a pu échapper à la justice grâce à une belle hypocrisie occidentale. Jusqu'au bout. Les concepteurs du chaos irakien semblent avoir des visées qui vont au-delà de « la gestion » du bourbier actuel. Susciter un sentiment d'humiliation chez les musulmans semble être l'un des premiers objectifs de la pendaison médiatique, expéditive et sauvage de l'ex-président irakien. Occupé, l'Irak n'est, aux yeux du droit international, pas un Etat doté d'une justice capable de juger d'une manière impartiale. La parodie du procès durant laquelle l'ex-maître de Baghdad était appelé à répondre à de graves accusations de « crimes contre l'humanité », et durant lequel Saddam Hussein était souvent censuré, équivaut aujourd'hui à un second assassinat des victimes de Doujaïl. Non, aucune justice n'a été rendue, puisqu'on ne sait pas pourquoi et dans quelles conditions ce massacre a été commis. Aucune réparation n'a été prononcée en faveur des victimes. Pourquoi Saddam Hussein n'a-t-il pas « bénéficié » d'un tribunal international spécial à l'image de ce qui a été réservé aux militaires génocidaires du Rwanda et de l'ex-Yougoslavie ? Pourquoi les autres procès censés « juger » Saddam pour d'autres actes n'ont pas eu lieu ? A moins que seules les victimes « chiites » étaient plus « intéressantes » que les autres, toutes les autres. Les Conventions de Genève ont été, et d'une manière manifeste, violées puisque Saddam est un prisonnier de guerre qui n'a pas été traité en tant que tel. Accélérer la procédure d'élimination de Saddam semble obéir également à des calculs de stratégie marketing pour la coalition américano-britannique qui s'engouffre dans le pays. Le nombre de civils tués depuis le début de la guerre contre l'Irak en 2003 frôle les 600 000, selon des statistiques non officielles. Même soumises à un contrôle strict, les nouvelles du front font état de la mort de presque 3000 soldats américains et britanniques. Un décompte qui ne prend pas en charge les décès parmi les « contractuels » civils. Souvenons-nous : le président américain, George W.Bush, avait justifié l'engagement des troupes en Irak pour « chercher des armes de destruction massive ». Aucune arme n'a été trouvée. Ensuite, cela est devenu « une lutte » (à l'origine elle était « une croisade ») contre le terrorisme. Manipulations Or, aucune preuve n'a été établie entre l'Irak et les attaques du 11 septembre 2001. Et si les véritables finalités n'étaient ni l'une ni l'autre ? Effacer l'Irak de la géographie, par tous les moyens de destruction, paraît aujourd'hui comme un plan en phase intensive d'exécution. Tant il est vrai que la présence des troupes US et britanniques n'a aucune raison d'être. Puisque les architectes de l'enfer irakien ont réussi deux coups de maître : installer le pays dans la guerre civile et monter les chiites contre les sunnites. Une sorte de nouvelle Irlande à horreur amplifiée. Il est évident que le déchirement entre sunnites et chiites ne vise pas uniquement l'Irak, mais à créer des divisions à l'intérieur du monde arabe et dans l'ensemble de la communauté musulmane. Certains, à Washington ou ailleurs, rêvent d'isoler l'Iran, pays à potentiel nucléaire, ou, du moins, à créer des traumatismes durables dans toute la région du Golfe et du Moyen-Orient. L'entreprise est en marche. Cela ne s'arrête pas à ce niveau. Puisqu'il faut bien créer des tensions entre Arabes et non Arabes, comme c'est le cas actuellement au Soudan, en Somalie et au Tchad. Et si l'exécution de Saddam faisait oublier l'incapacité des « coalisés » de trouver l'ennemi « permanent » qui est Ben Laden, à supposer qu'il soit réellement recherché, et l'échec évident de l'offensive afghane contre les talibans ? Dans l'affaire Saddam, il y a — c'est presque certain — une part de manipulation, y compris celle des images et des sons, qui fait écran total sur d'autres enjeux. Comme le contrôle des sources de l'énergie, de l'eau et la garantie de débouchées certaines au marché de l'armement. Saddam qui, comme chaque dirigeant arabe, adorait signer des contrats juteux d'achat d'armes dans l'opacité totale est mort en emportant avec lui, comme l'a si bien signalé hier le journaliste britannique Robert Fisk, « les secrets de Washington ». Les Etats-Unis, comme la France, la Grande-Bretagne et la Russie, ont vendu beaucoup d'équipements militaires à l'Irak. Une partie de cet équipement sert aujourd'hui non pas à « libérer » l'Irak, mais à massacrer les civils de ce pays.