Face aux «attaques soutenues» de M. Orban sur l'Etat de droit depuis 2010 – qui ne concernent pas que la liberté d'informer –, la Fidh réclame donc une «réaction forte et immédiate de l'UE, allant au besoin jusqu'à la mise en œuvre de l'article 7 du traité ; ce qui pourrait conduire à la suspension de certains droits de la Hongrie au sein du Conseil de l'Union européenne» Peter Petö est l'un des meilleurs journalistes du pays. Mais il est au chômage technique. Le prestigieux quotidien libéral de centre-gauche qui l'employait a fermé brutalement ses portes, le 8 octobre. Officiellement, sur décision de l'actionnaire autrichien : depuis plusieurs années, Nepszabadsag («Liberté du peuple») voyait ses ventes baisser régulièrement et cumulait les pertes. «Pourtant, la réalité, c'est que le plus grand journal hongrois d'opposition a été rayé de la carte et que la rédaction qui servait de source à toute la presse hongroise a été démantelée» par le Premier ministre Viktor Orban, s'insurge ce jeune rédacteur en chef adjoint. Selon lui, le sort réservé à Nepszabadsag constitue un tournant pour la démocratie hongroise, mise à mal depuis le retour au pouvoir en 2010 du parti souverainiste Fidesz. Dans un rapport rendu public le 4 novembre, la Fidh (Fédération internationale des droits de l'homme) estime que «les tentatives pour réduire le pluralisme et l'indépendance des médias publics et privés menacent la liberté d'expression, l'information et la liberté des médias en Hongrie». «Un monopole d'information du parti au pouvoir » Opimus, la société qui a racheté le titre peu de temps après sa fermeture, a été créée il y a six mois. Elle n'a aucune expérience dans le milieu journalistique. Selon Daniel Renyi, un rédacteur travaillant pour le pure player 444.hu, le nouveau directeur général de Nepszabadsag, Gabor Liszkay, nommé le 27 octobre, dirige le journal pro-gouvernemental Magyar Idök («Les temps hongrois»). «Je considère qu'on a désormais un monopole d'information du parti au pouvoir», énonce Maria Vasarhelyi, une ancienne chercheuse de l'académie des sciences. «D'ici à la fin de l'année, Viktor Orban va disposer de grands journaux régionaux. Bien sûr, il restera toujours des sites Internet et des titres conçus pour donner une impression de pluralité et quelques bonnes rédactions, comme des sas de décompression, qui serviront à la propagande pour balayer les accusations de concentration venant de l'étranger. Mais ils ne dérangeront plus le pouvoir, car leur audience restera confidentielle.» En Hongrie, l'immense majorité de la population ne maîtrise pas de langue étrangère. Elle s'informe par le biais de la télévision et ignore largement Internet. Or les chaînes publiques sont dépendantes de l'exécutif et la concentration actuellement observée est considérée comme étant susceptible d'avoir fait basculer l'opinion, l'été dernier, sur le sujet des migrants. «Spots payés par le gouvernement» «Pendant les Jeux olympiques, ces chaînes ont diffusé toutes les onze minutes des spots payés par le gouvernement, dans le cadre de sa campagne pour le référendum antimigrants qui a eu lieu le 2 octobre», affirme Mme Vasarhelyi. «Dans les journaux télévisés, il y avait des sujets concernant les viols commis par des demandeurs d'asile sur les femmes des pays occidentaux.» Reste RTL Klub, le mastodonte allemand. Installé depuis 1997 en Hongrie, il échappe totalement à Viktor Orban, qui a essayé de l'étouffer en 2014, en taillant spécialement pour lui un projet de taxe exorbitante. Face au droit européen, le gouvernement hongrois avait dû reculer et cette télé commerciale est toujours leader du marché. Pourtant, une source au sein du groupe détaille au Monde des tentatives de séduction pour détourner ses annonceurs et de marginalisation de ses rédacteurs sur le terrain. Par ailleurs, une réforme de 2011 incite à faire une distinction entre les informations stricto sensu et les opinions des journalistes. Une «Haute autorité des médias» veille au respect de cette obligation légale pour les informations diffusées par des chaînes de télévision et de radio. Elle vérifie aussi le caractère équilibré des reportages uniquement en cas de demande. En 2014, à la suite d'une de ses recommandations, la Cour suprême a condamné la chaîne de télévision ATV pour avoir qualifié Jobbik de parti «d'extrême droite», en estimant que cette expression relevait de l'opinion du journaliste. Des journalistes se plaignent de ce carcan «On peut tout publier en Hongrie, où il y a 4 532 organes de presse écrite et 3 017 médias électroniques qui fonctionnent», affirme pourtant Monika Karas, la présidente de cette autorité équivalente au CSA, nommée en 2013 par le président de la République sur proposition du Premier ministre Viktor Orban. «Il faut que différents points de vue puissent être présentés au public au sujet d'un même événement. Un parti politique, un auditeur ou un téléspectateur estimant qu'un journaliste n'a pas relayé sa position sur un sujet peut nous saisir et nous étudions chaque dossier pour décider si le média en question doit ou non compléter l'information par la position qu'il a omise.» Des journalistes se plaignent de ce carcan et la Hongrie a perdu 48 places en cinq ans au classement mondial de la liberté de la presse. Cette dégringolade n'est observée dans aucun autre pays de l'Union européenne. Face aux «attaques soutenues» de M. Orban sur l'Etat de droit depuis 2010 – qui ne concernent pas que la liberté d'informer –, la Fidh réclame donc une «réaction forte et immédiate de l'UE, allant au besoin jusqu'à la mise en œuvre de l'article 7 du traité ; ce qui pourrait conduire à la suspension de certains droits de la Hongrie au sein du Conseil de l'Union européenne.» Mais Bruxelles ne semble pas réagir et cela rend très amère Maria Vasarhelyi, fille d'un célèbre dissident. «Nous réalisons petit à petit que la communauté européenne est unie seulement par des liens économiques. Pour nous, les intellectuels qui espérions tant après 1989 [chute du Mur de Berlin], c'est une très grande déception.» B. G. In lemonde.fr