Marqueur du changement climatique et volet incontournable de l'adaptation au réchauffement, l'eau a pourtant jusqu'à présent été négligée par la diplomatie climatique. Elle pourrait prendre sa revanche lors de la COP22. Marqueur du changement climatique et volet incontournable de l'adaptation au réchauffement, l'eau a pourtant jusqu'à présent été négligée par la diplomatie climatique. Elle pourrait prendre sa revanche lors de la COP22. «Le cycle de l'eau n'est plus maîtrisé.» Jeremy Rifkin, spécialiste de la prospective et auteur de La troisième révolution industrielle, s'en émouvait lors d'une conférence à Paris en juin 2015. Et les analyses scientifiques comme l'actualité des catastrophes naturelles ne cessent de lui donner raison. Alors qu'en France les inondations du mois de juin ont gravement affecté les récoltes, dans les régions les plus naturellement exposées au risque de stress hydrique, les sécheresses s'aggravent et se multiplient. La fonte des glaces de l'Arctique gonfle les océans, mettant en danger les villes côtières ainsi que les réserves d'eau douce qui sont infiltrées de sel. Comme le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) l'a souligné dans ses rapports de 2008 et de 2014, ces manifestations du dérèglement du cycle de l'eau sont des conséquences du réchauffement de la planète. Ressource la plus affectée par le changement climatique, l'eau en est même le marqueur le plus évident. Un nouveau facteur vient donc aggraver la tension qui découle déjà, notamment dans les pays du Sud, d'une demande grandissante en eau sous le double effet de la croissance démographique et du développement économique. Avec des conséquences potentielles aussi étendues que redoutables. La sécurité alimentaire, la santé humaine, l'expansion économique sont toutes menacées par les effets du dérèglement du cycle de l'eau sur l'agriculture, sur la biodiversité, les infrastructures de transport ou la production d'énergie. Et les conflits qui se dessinent autour de l'eau entre individus, communautés et industries, sont une source prévisible d'instabilité politique. Gestion maîtrisée et bonnes pratiques L'adaptation des territoires au changement climatique - notamment dans les pays en voie de développement - qui, selon les vœux de la ministre marocaine de l'Environnement, Hakima El Haite, devra être au centre des discussions de la COP22, ne se fera donc pas sans une nouvelle stratégie hydrique prenant en compte ces enjeux. «Revendiquer l'accès à l'eau ne suffit plus. Il est indispensable que chaque secteur réfléchisse à l'efficacité de sa gestion de cette ressource en remettant en cause ses propres pratiques», souligne Pierre Victoria, directeur Développement durable chez Veolia et membre du think-tank (Re)sources. C'est le cas de l'agriculture notamment qui consomme 70% de l'eau de pluie et d'irrigation du monde, mais aussi du secteur énergétique, deuxième plus gros préleveur d'eau au niveau mondial. Eviter les gaspillages et améliorer le recyclage de l'eau semblent ainsi des démarches désormais incontournables : «Présente partout dans le monde, l'eau usée est une ressource, de surcroît de plus en plus abondante», observe Pierre Victoria. Cette approche implique toutefois de repenser le développement, les territoires et notamment les villes, en articulant mieux les besoins et les ressources disponibles, jusqu'à revoir parfois certaines limites réglementaires. Et si la technologie, de plus en plus accessible, jouera un rôle fondamental dans cette adaptation, l'innovation sociale doit aussi y trouver toute sa place, estime l'expert. Or, malgré son évidence, ce lien étroit entre gestion de l'eau et lutte contre le réchauffement climatique n'est pas mentionné dans l'Accord de Paris issu de la COP21 qui, pourtant, évoque les conséquences du réchauffement sur l'alimentation humaine. L'omission est d'autant plus saisissante que le sujet de l'eau, sous-estimé par les huit Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) à l'horizon 2015, a en revanche été clairement et systématiquement posé dans le cadre des 17 Objectifs de développement durable (ODD) fixés pour 2030. Et que 89 des contributions nationales (NDC) présentées après la COP21 évoquent le problème de l'eau dans leur volet adaptation. «Il est donc nécessaire de réarticuler ces deux agendas», estime Pierre Victoria. L'accessibilité des financements dédiés aux actions de gestion de l'eau devrait également être abordée lors de la COP22, a-t-il été souligné lors d'une conférence de mi-chemin entre les deux COP, organisée à Rabat en juillet et réunissant 700 acteurs de l'eau. Une pleine journée dédiée à l'eau A Marrakech, durant la COP22, une journée est consacrée à l'eau. De quoi permettre d'articuler les trois alliances lancées en décembre 2015 lors de la COP21 à Paris, afin qu'elles parlent d'une même voix et pèsent sur les négociations climatiques : le Pacte sur l'eau et l'adaptation au changement climatique dans les bassins, les fleuves, les lacs et les aquifères, qui fédère quelque 350 organisations de 94 pays ; la Business Alliance for Water and Climate Change (Bafwac), qui réunit une trentaine d'entreprises volontaires ; l'Alliance des mégalopoles pour l'eau et le climat, plateforme internationale de coopération entre villes, institutions et société civile, et la campagne Climate is water. L'occasion également, de présenter de nouvelles initiatives telles que Water for Africa, une action de sensibilisation aux défis particuliers de l'Afrique ; le «Livre bleu» sur l'eau et le climat, qui résume les conclusions de la conférence de Rabat, et le Réseau international des parlementaires pour l'eau, qui vise à partager les meilleures initiatives législatives. Mais pour que l'eau prenne enfin la place qu'elle mérite dans les négociations climatiques internationales, un rapprochement entre l'ensemble des secteurs concernés s'impose, estime Pierre Victoria. «Il faut briser les silos organisationnels, insiste-t-il. La logique du partage est immanente à l'industrie de l'eau. Elle peut utilement être mutualisée.» G. G. In latribune.fr