Rendu public il y a moins d'un mois, le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a confirmé deux faits irréfutables : l'accélération du processus de réchauffement et la responsabilité de l'homme dans cette situation. Selon le document, «les concentrations de CO2 ont augmenté de 40 % depuis l'apparition de l'industrie». L'Algérie, qui fait partie de l'Afrique et de la Méditerranée, deux régions reconnues par les experts comme les plus vulnérables face aux effets du changement climatique, risque de payer chère la facture en cas de non adaptation aux futures fluctuations climatiques. Djilali Benouar, spécialiste des risques majeurs et directeur du laboratoire de recherche Bâti dans l'environnement à l'Université des sciences et des technologies Houari Boumediène (USTHB), résume l'impact sur l'Algérie dans «l'élévation du niveau de la mer, qui accroît le risque d'intrusions salines dans les nappes phréatiques et un climat plus chaud et plus sec». Les impacts résulteront de «l'accroissement des fréquences d'occurrence des phénomènes hydrométéorologiques naturels extrêmes (sécheresses et inondations), la dégradation de l'environnement, le déficit des ressources en eau et les risques de développement de nouvelles maladies». Le déficit hydrique sera lui-même «aggravé par une évaporation accrue» et «les aquifères côtiers deviendront plus salées». Les effets ont déjà été ressentis à travers les inondations, l'envasement des barrages, les canicules, etc. Certains experts estiment déjà pour l'Algérie les coûts de ces changements «entre 1.3 % et 4.3 % du PIB». Vulnérabilité hydrique Selon l'Institut hydrométéorologique de formation et de recherche (IHFR), il faut s'attendre à une «accentuation des phénomènes météorologiques qui seront de plus en plus violents et dangereux». On parle d'une «réduction de l'ordre de 20% en termes de précipitation dans les prochaines années». Le secteur des ressources en eau sera donc l'un des plus touchés. M. Benouar explique que les changements vont «accentuer la dégradation quantitative et qualitative des ressources en eau». «Tous les secteurs dépendant des ressources en eau risquent d'être affectés sérieusement (approvisionnement en eau, énergie, agriculture, industrie, santé, écosystèmes, développement socio-économique, etc.)» C'est toute «la fiabilité des systèmes de gestion des infrastructures liées aux ressources en eau» qui sera mise en question». Selon un document du PNUD datant de 2009 et traitant de la problématique de l'eau face aux changements climatiques, on estime à 35 milliards de dollars les investissements à court, moyen et long termes pour l'ensemble des projets à mener dans ce secteur pour «permettre de réduire sensiblement les déficits en matière d'alimentation en eau potable des populations en milieu urbain et rural, de préserver les ressources, et d'étendre les superficies irriguées». Sécurité alimentaire Mais qui dit eau dit aussi agriculture. Selon le PNUD, toujours, «il faudrait disposer entre 15 et 20 milliards de mètres cubes par an, en réservant 70% à l'agriculture, pour parvenir à une sécurité alimentaire satisfaisante», alors qu'on «mobilise à peine au plus 5 milliards de mètres cubes d'eau par an». «L'insuffisance de l'eau ainsi que sa rareté conditionnent l'avenir du pays du point de vue sécurité alimentaire», note par ailleurs, une étude intitulée «Développement de l'agriculture en Algérie : Quelles stratégies d'adaptation face à la rareté de l'eau (présentée lors du 5e colloque international : Energie, changements climatiques et développement durable, Hammamet 15-17 juin 2009). Selon ce document, «le déficit hydrique aura un impact direct sur la réduction des rendements des céréales dont l'Algérie est dépendante à 80% de l'étranger» et le changement climatique réduirait «la productivité des légumes de 15 à 30% d'ici 2030». On parle également de «déficit croissant entre les besoins en céréales estimés par les programmes de sécurité alimentaire et les potentiels agricoles». Globalement, les cultures dites méditerranéennes «comme les olives et les citrons pourraient progressivement s'installer dans de vastes zones d'Europe du Sud et le maraîchage pourrait également s'intensifier, grevant le développement de l'agriculture d'exportation maghrébine». Solutions Face à ces scénarios catastrophiques, une stratégie «d'adaptation» s'impose selon les experts. Le professeur Chems Eddine Chitour estime qu'il faut «passer de la gestion des crises à la gestion des risques, intégrer toutes les causes, les politiques sectorielles, les savoirs locaux et les indicateurs de suivi des stratégies». L'Algérie et tous les pays du continent africain (l'Afrique émet -5% de gaz à effet de serre) ont beau se défendre d'être à l'origine du réchauffement climatique, ils n'en échapperont pas moins aux conséquences. «L'existence du risque de changement climatique demande dès lors de réviser les stratégies des ressources afin de s'adapter au risque et de limiter les impacts», estime le professeur Benouar. La notion de risque doit être «intégrée dès à présent dans les diverses décisions d'investissement et toutes les politiques sectorielles, et notamment, dans la conception des infrastructures hydrauliques afin d'assurer leur fiabilité à long terme». Le défi consiste désormais à «augmenter la capacité adaptative». Il s'agit de «formuler divers scenarii d'adaptation afin de choisir une stratégie complète multisectorielle». L'Algérie s'est dotée d'un plan national climat dans lequel il est fait un état des lieux de trois secteurs-clés à prendre en compte : l'agriculture, les ressources en eau et la santé, et a défini une stratégie climat qui s'étend jusqu'à 2050 avec des stratégies d'actions à mettre en place face au changement climatique. Les experts estiment que l'une des solutions pour l'Algérie serait de promouvoir les énergies renouvelables en profitant notamment de son gisement solaire «qui peut couvrir l'ensemble de nos besoins énergétiques avec des ressources vertes dans 20 à 25 ans», selon le directeur de l'Agence nationale de changement climatique. Kamel Mustapha Kara. Le professeur Benouar affirme que la Délégation nationale aux risques majeurs pourrait jouer le rôle de «catalyseur dans la formulation d'une stratégie nationale multisectorielle intégrée» en vue de s'adapter aux changements climatiques dans les divers secteurs. Le but étant d'apporter des réponses «faisables économiquement et acceptées socialement» pour une «adaptation durable».